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Quelques Définitions de Bibliophilie...


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BIBLIOPHILIE
RELIURE
ILLUSTRATION ET ILLUSTRES
ENLUMINURE
PAPIER
IMPRIMERIE




BIBLIOPHILIE


Bibliophilie, art et science de celui qui aime les livres et en particulier les ouvrages rares et précieux.

L'attrait bibliophilique d'un ouvrage repose sur un certain nombre de critères. Certains livres peuvent avoir de la valeur parce qu'ils ont été imprimés en nombre limité ou parce qu'ils ont été composés à la main, fabriqués avec un papier de grande qualité, ou en raison de procédés de reproduction ou de reliure exceptionnels. Les livres les plus convoités sont les premières éditions (dont le nombre d'exemplaires imprimés est généralement peu élevé) des œuvres d'un écrivain connu. Les incunables et les livres du milieu du XVe siècle à la fin du XVIIe siècle, ont été publiés en nombre relativement restreint. Les exemplaires qui nous sont parvenus n'en sont que plus précieux.

Les livres rares qui tiennent leur valeur de défauts d'impression ou de reliure (couverture défectueuse, page de titre manquante ou en trop, erreur typographique importante, etc.) constituent une catégorie spéciale. Enfin, certains livres courants prennent de la valeur, rares parce qu'ils ont appartenu à des personnes célèbres et parfois en raison des inscriptions ou des annotations qu'elles y ont apportées. Les ouvrages non imprimés figurent également parmi les articles précieux aux yeux des bibliophiles : les manuscrits enluminés et les manuscrits originaux (écrits à la main, tapuscrits ou épreuves d'imprimeur). Les seconds intéressent surtout les érudits et les critiques en raison des corrections et des modifications parfois apportées par l'auteur lors de la publication de l'ouvrage.

L'intérêt des bibliophiles est la plupart du temps ciblé : ils constituent leur collection dans un domaine précis. Certains collectionneurs se sont spécialisés en livres de voyage, en livres illustrés par certains artistes ou imprimés par des particuliers, des biographies d'une personne ou toutes les éditions des livres d'un auteur. Le travail d'un bibliophile contribue fréquemment à la constitution d'une partie ou de la totalité d'une bibliothèque publique. Quelques-unes des grandes bibliothèques du monde ont été constituées à partir de ce type de collections privées.

On peut faire débuter l'histoire de la bibliophilie à la fondation de la bibliothèque de Ninive par le roi Assurbanipal (668-626 av. J.-C.). Le philosophe Aristote (384-322 av. J.-C.) possédait une bibliothèque privée qui servit, dit-on, de modèle à la grande bibliothèque d'Alexandrie constituée par Ptolémée II. À Pergame, en Asie Mineure, il faut citer celle d'Eumène II. Au Moyen Âge d'importantes bibliothèques furent constituées dans les églises, les monastères et les cathédrales. Les universités commencèrent également à rassembler des livres. L'intérêt pour la collection de livres apparaît dans Philobiblon (1473), ouvrage autobiographique de Richard de Bury, évêque de Durham, publié à titre posthume.

Encouragé par l'esprit humaniste et le développement de l'imprimerie, les sociétés cultivées des XVe et XVIe siècles ont rassemblé des collections d'ouvrages manuscrits et imprimés. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, la conservation des livres devint de plus en plus fréquente en Europe. En France, Richelieu, Mazarin et Colbert constituèrent d'importantes bibliothèques.

Dans les pays germaniques, on peut citer August, duc de Brunswick et l'Électeur Friedrich Wilhem de Brandebourg. En Grande-Bretagne, les activités des collectionneurs de livres aboutirent à la fondation du British Museum en 1753. Objets de convoitise, les bibliothèques firent également partie des tributs de guerre. Au XVIIe siècle, Gustave Adolphe, roi guerrier suédois, expédia dans son pays des bibliothèques complètes provenant des pays qu'il avait conquis. Charles X de Suède et la reine Christina firent de même pour constituer la bibliothèque royale de Stockholm en Suède.

Parmi les collectionneurs américains célèbres, on peut citer John Pierpont Morgan, Henry Edwards Huntington et James Lenox, dont la collection fait aujourd'hui partie de la New York Public Library. Au XIXe siècle, Londres était le centre du marché international des livres rares.

Parmi les ouvrages plus rares, on peut citer la Bible de Gutenberg (imprimée à Mayence, en Allemagne entre 1450 et 1456) et la première édition des pièces de Shakespeare (1623!; édition in-folio), généralement appelée le Premier Folio.



ENLUMINURE


Le nom d'enluminure est aujourd'hui donné au décor des manuscrits de préférence à celui de miniature , utilisé au XIXe siècle. Ce second terme fut d'abord réservé aux lettrines peintes en rouge (minium) puis, par extension, à toute l'ornementation des manuscrits ; mais il prit rapidement d'autres sens et désigne surtout les scènes et portraits peints sur les couvercles des boîtes et tabatières à partir du XVIIIe siècle. Il vaut mieux, par conséquent, réserver le nom d'enluminure à la seule peinture des manuscrits. On considère généralement que ce décor est peint, mais de nombreux ouvrages, et non des moindres, comme le Psautier d'Utrecht , chef-d'œuvre de l'art carolingien, ne comportent que des dessins à l'encre brune ou de couleur. L'enluminure est donc le décor exécuté à la main, peint ou dessiné, ornant ou illustrant un texte presque toujours manuscrit ; il existe, en effet, quelques livres imprimés décorés à la main. La peinture des manuscrits est, par définition, dépendante de l'art du livre et de son développement, puisque celui-ci lui fournit son support et qu'elle s'ordonne en fonction du texte. Bien que l'évolution de l'enluminure soit étroitement liée à celle de la « grande peinture », elle ne saurait être réduite à une branche de cet art : ce serait négliger une importante catégorie d'enluminures (compositions calligraphiques, lettres ornées...). Et, s'il est vrai que l'ornementation des manuscrits a toujours tenté de rivaliser avec la peinture autonome, l'aboutissement de cette tendance équivaut à la négation du rôle spécifique de cet art, puisque l'équilibre entre le décor et le texte, l'un étant très soigné et l'autre d'un intérêt négligeable, est alors rompu.

1. Types d'enluminures

Il n'est pas rare de trouver dans un même manuscrit plusieurs types de décor. On distingue principalement les scènes figurées, les compositions purement décoratives et les initiales. Les scènes figurées, illustrant un texte, ne sont pas toujours encadrées. Leur place par rapport au texte est variable, qu'elles soient insérées entre deux paragraphes, rejetées en marge, ou qu'elles occupent une pleine page. Les bordures, bandeaux marginaux, cartouches, frontispices, ont un rôle ornemental ; entrent aussi dans cette catégorie les « pages tapis », pleines pages couvertes d'un jeu abstrait d'entrelacs et de rinceaux, que l'on trouve dans les corans comme dans les codices insulaires, ou les antennes et bordures gothiques chargées de plantes et d'animaux, parmi lesquels se cachent les « drôleries ». Les initiales, enfin, constituent la partie la plus originale de l'enluminure : les lettrines, majuscules peintes ou rubriquées, parfois rehaussées d'un motif très simple, relèvent autant de la paléographie que de l'histoire de l'art. Les lettres ornées sont plus complexes : les lignes générales de la majuscule subsistent et servent de cadre ou de support à un décor d'entrelacs, de plantes, d'animaux ou de personnages. On leur oppose les lettrines dites synthétiques où le décor seul dessine la silhouette de la lettre ; l'art mérovingien en a donné les plus parfaits exemples. Les lettres historiées sont des initiales qui servent de cadre à une scène narrative ; celle-ci peut aussi bien se loger dans les jambages et les hastes d'une grande majuscule, rappelant ainsi la composition des lettres ornées, que dans les espaces laissés libres au centre de l'initiale. Ces distinctions sont, en fait, assez arbitraires, et les enlumineurs mélangèrent sans scrupule les genres et les catégories.

2. Les enlumineurs

On fit appel, dans l'Antiquité classique, à des peintres célèbres pour exécuter les portraits d'écrivains, et l'on ne peut guère parler d'ateliers d'enlumineurs avant le Bas-Empire : ces ateliers romains ou provinciaux travaillaient indifféremment pour les païens et les chrétiens. Du VIe au XIIe siècle, la fabrication des manuscrits fut essentiellement une activité monastique. Le nom d'illuminator fut peu employé avant l'époque gothique, et c'est plutôt celui de pictor que l'on rencontre, par opposition au scriptor ; ce dernier calligraphiait le texte et a peut-être joui d'une plus grande considération que le pictor , car il est bien souvent le seul à être mentionné par le colophon. Il est possible que pictor et scriptor aient été un seul et même personnage, mais la réalité est plus complexe : pour un même ouvrage, il n'est pas rare d'avoir plusieurs scriptores dont un seul était peintre. D'autre part, les peintres ne restaient pas toujours dans le même monastère : ainsi Liuthard, protégé de Charles le Chauve, à la fois peintre et copiste, semble avoir exercé son art dans plusieurs abbayes ; au XIe siècle, Albert de Trèves fut appelé à Cluny pour tenter de redonner un peu de lustre au scriptorium bourguignon. Il existait enfin des enlumineurs vivant en dehors de la règle monastique bien avant l'époque gothique. Citons le Lombard Nivardus que Gauzelin, abbé de Fleury, fit travailler pour son couvent, et le peintre laïque Foulque qui, à la fin du XIe siècle, fut au service de l'abbé de Saint-Aubin d'Angers. Le lien entre les enlumineurs et les fresquistes reste encore à préciser ; il est vraisemblable que, dans plusieurs cas, les peintres de manuscrits furent aussi les auteurs de peintures murales. À l'époque gothique, l'apparition d'une clientèle nouvelle entraîna un changement de la condition des enlumineurs. Les livres destinés à de riches laïques furent désormais enluminés dans des ateliers où une équipe de peintres était dirigée par un maître en renom. L'activité de ces ateliers s'étendit rapidement à la peinture des statues, des ivoires et surtout des tableaux. Ces conditions expliquent en partie l'emprise de plus en plus forte de la peinture autonome sur le décor des manuscrits et la transformation de la conception de l'art de l'enluminure au XVe siècle.

3. Les techniques

Le support de l'enluminure est le même que celui du texte : parchemin, papyrus ou papier. Au XIe siècle, au Bengale, les enluminures sont peintes sur des rouleaux de palme puis sur papier de riz. En Occident, à la fin de l'Antiquité, les volumina sont abandonnés pour les codices , et le parchemin devient le support par excellence des manuscrits ; les enluminures sur papier sont exceptionnelles et n'apparaissent qu'à la fin du Moyen Âge. Les techniques sont semblables pour Byzance et l'Occident. Dans sa Schedula diversarum artium , le moine Théophile envisage les problèmes qui se posent à l'enlumineur : préparation des couleurs, des encres, pose des rehauts d'or et d'argent. Pour cette opération, la plus délicate, le parchemin était d'abord couvert d'un mélange de vermillon, de cinabre et de blanc d'œuf sur lequel était posé l'or en poudre, mêlé à une colle ; il fallait ensuite polir avec une dent ou une pierre. L'emploi des rehauts d'or (ou d'étain coloré au safran) et d'argent, auxquels s'ajoute parfois l'éclat du parchemin teint de pourpre, était réservé aux ouvrages de luxe. Mais dans les scriptoria romans, trop pauvres ou ruinés par les invasions, ces rehauts ne firent pas leur apparition avant la fin du XIe siècle. Les fonds d'or, unis ou retravaillés à la plume, se généralisèrent au début de l'époque gothique. Dans certains ateliers, monastiques ou laïques, l'or était posé par des doreurs distincts des peintres et des scribes. Les couleurs pouvaient aussi être appliquées sur une « assiette » composée d'eau et de gomme, de blanc d'œuf ou de vermillon et de céruse. Cette technique, que pratiquèrent les Byzantins, gagna l'Occident et fut employée à Cluny avant 1100 ; mais cette préparation a presque toujours mal vieilli. Cependant, la plupart des enluminures étaient peintes directement sur le parchemin, soit avec une gouache épaisse, soit avec des couleurs très légères, proches du lavis ou de l'aquarelle. Auparavant, le peintre mettait en place son enluminure dans l'espace qui lui était réservé, à l'aide de figures géométriques très simples ; il traçait ensuite le dessin à la pointe sèche et le repassait à l'encre. Un autre procédé consistait à repasser le dessin avec des encres de diverses couleurs.

4. Évolution de l'enluminure en Occident

Antiquité et Bas-Empire

L'art de l'enluminure remonte à l'Égypte antique, qui en fournit les plus anciens témoignages (rouleaux des morts). Les Grecs et les Romains possédaient des ouvrages illustrés ; dans les textes littéraires, des lettrines peintes, parfois au milieu d'un mot, servaient de point de repère dans les colonnes du texte, mais il est peut-être abusif d'y voir l'origine des lettres ornées. L'abandon du volumen au profit du codex marque un tournant important, car le décor s'ordonne désormais dans une page. Aux IVe et Ve siècles, les enluminures attestent la survivance de la peinture illusionniste classique ; elles la transmettront aux Byzantins et aux Carolingiens, qui la copièrent fidèlement. Il reste peu d'originaux de cette période : le Vergilius Vaticanus (Vatican, ms. lat. 3225) montre encore des effets de perspective et des fonds d'architectures, alors que, dans le Vergilius Romanus , les personnages sont raides et figés et toute perspective est abandonnée (Vatican, lat. 3867). Il faut aussi mentionner la bible disparue, rédigée en 440 pour Léon le Grand, laquelle joua un rôle important dans la formation du style de l'école de Tours, au IXe siècle. Au VIe siècle, l'enluminure prend un caractère nettement chrétien (Premiers Canons de concordance , Vatican, lat. 3806). Dans les Évangiles de Cambridge (Corpus Christi coll., cod. 286), la représentation de l'évangéliste Luc servit de modèle aux enlumineurs du VIIIe siècle. Le Pentateuque d'Ashburnam (Bibl. nat., lat. 2334) tranche sur ces œuvres par la violence de ses couleurs ; il proviendrait d'un atelier d'Espagne ou d'Afrique du Nord, ou plutôt d'un atelier romain. De ces enluminures sont sorties, avec des fortunes diverses, les peintures byzantines et carolingiennes.

Enluminure byzantine

Les Byzantins héritèrent des traditions antiques, classiques et hellénistiques, et juives ; l'illustration des manuscrits fut donc un commentaire de textes religieux par des scènes figurées, laissant peu de place à l'ornementation. Au VIe siècle, le nombre des centres artistiques (Constantinople, Antioche, Alexandrie) explique la diversité des styles (Genèse de Vienne , Évangiles à fond pourpre de Rossano ). Après la période iconoclaste (725-843), la « renaissance macédonienne » consacra l'hégémonie de Byzance en matière de décoration de manuscrits ; le style classicisant est manifeste dans le Psautier de Paris (Bibl. nat., gr. 139) ou dans les Homélies de Grégoire de Nazianze , manuscrit qui appartint à Basile Ier (Bibl. nat., gr. 510), alors qu'au Xe siècle apparaît une peinture vive et maniériste, d'inspiration hellénistique (Ménologe de Basile II ; Theriaca de Nicandre , Bibl. nat., suppl. gr. 247). La légèreté du dessin qui persiste aux XIe et XIIe siècles s'accompagne d'un retour aux fonds dorés ; les portraits impériaux des frontispices témoignent de l'art aristocratique de cette période, alors que les psautiers à illustrations marginales sont d'origine monastique (Homélies de saint Jean Chrysostome , Bibl. nat., Coisl. 79 ; Psautiers de Bristol , de Moscou , de Baltimore ). La conquête de Byzance, en 1204, puis la reprise en main de l'Empire par les Paléologues ne troublèrent pas le travail des peintres, qui s'orientèrent vers un style narratif, tempéré par un retour aux modèles classiques (Homélies sur la Vierge , Bibl. nat., gr. 1208). Mais, malgré la vigueur des traditions, l'influence occidentale finit par étouffer l'originalité de la peinture byzantine. Cependant, les contacts qui s'étaient établis antérieurement entre l'art byzantin et l'art occidental sont loin d'être négligeables : si les scriptoria ottoniens assurèrent la diffusion à l'ouest des techniques et de l'iconographie des écoles de Constantinople, le rôle des ateliers italiens fut au moins aussi important ; ceux de Rome et d'Italie du Nord, d'une part, d'Italie du Sud, d'autre part, furent des centres d'échanges fructueux. L'enluminure d'Italie du Sud est, sur ce point, révélatrice (rouleaux d'Exultet ; mss exécutés au Mont-Cassin sous l'abbatiat de Didier ; mss grecs d'Italie du Sud).

Enluminures insulaires et mérovingiennes

L'enluminure suivit en Occident des voies différentes ; deux groupes distincts se formèrent aux VIIe et VIIIe siècles. Après l'évangélisation de l'Angleterre et de l'Irlande, les artistes locaux introduisirent dans le décor des livres leur vocabulaire ornemental, dérivé en grande partie de l'art du métal. L'art insulaire est caractérisé par les entrelacs et les spirales qui se déroulent sur les pages et abritent dans leurs replis de petits animaux, les figurations humaines tendant vers la schématisation ou la symbolisation. On lui doit l'invention des lettres ornées occupant parfois toute une page, qui dominèrent à l'époque romane. Le Livre de Durrow (Dublin, Trinity coll.), les Évangiles d'Echternach (Bibl. nat., lat. 9389) en donnent les plus parfaits exemples. La tradition antique se maintient cependant dans les représentations des évangélistes (Livre de Lindisfarne ) ; elle est alimentée par l'arrivée en Angleterre de livres ayant appartenu à Cassiodore et par l'existence de scriptoria anglo-italiens sur le continent. Au VIIIe siècle, l'école de Cantorbéry donne, avec le Codex aureus de Stockholm, la copie littérale d'un manuscrit du Bas-Empire. Sur le continent fleurissait parallèlement une autre forme d'enluminure : si les insulaires firent connaître la lettre ornée, on doit aux Mérovingiens les premières lettrines synthétiques, zoomorphes et anthropomorphes ; ces initiales, peintes de couleurs très vives et lumineuses, sont formées d'oiseaux, de poissons, mis en place au compas. Les figurations des évangélistes selon la formule du Bas-Empire sont absentes, car l'enluminure mérovingienne est avant tout un art décoratif dont les origines sont encore discutées. Les principaux scriptoria mérovingiens sont ceux de Luxeuil, qui produisit le célèbre lectionnaire, de Chelles, de Corbie. Un groupe de manuscrits, dont le Sacramentaire gélasien (Vatican, Reg. lat. 316), proviendrait de la région parisienne, alors que le Sacramentaire de Gellone (Bibl. nat., lat. 12048) est donné à la région de Meaux. L'opinion selon laquelle le décor des manuscrits carolingiens rompt complètement avec celui des codices mérovingiens demande à être nuancée. Les initiales du IXe siècle ont en effet gardé certains éléments mérovingiens, en particulier les poissons et les oiseaux, mais en rétablissant, au moins partiellement, le tracé de la majuscule.

Enluminure carolingienne

Au IXe siècle, l'enluminure revient aux sources antiques, retour qu'expliquent la politique impériale et la culture classique qui régnait alors dans les milieux lettrés : dans toutes les abbayes en renom, on fit des copies de manuscrits des Ve et VIe siècles, œuvres de Térence, Prudence, traités astronomiques. Mais, malgré cette fidélité à l'esprit antique, les Carolingiens continuèrent à faire des lettres ornées à décor d'entrelacs, d'animaux et de feuillages, et le psautier de Corbie (Amiens, ms. 18) est déjà, par sa conception, un manuscrit roman. Plusieurs écoles se succédèrent, bénéficiant de la protection impériale. De la première, l'école du Palais, est sortie une série d'évangiles très luxueux (Évangiles de Godescalc , de Trèves , de Soissons ) dont les peintures renouent avec les principes classiques : naturalisme, essais de perspective et de modelé ; les écoles de Reichenau, Saint-Gall, Corbie se rattachent à ce courant. L'école de Reims, protégée par Ebbon jusqu'en 845, se rallie, au contraire, au style antique illusionniste et crée des personnages vifs et allègres, peints avec une virtuosité éblouissante (feuillet d'évangiles de Bruxelles ; Psautier d'Utrecht , copie probable d'une œuvre du VIe siècle ; évangiles d'Ebbon, Épernay, ms. 1). L'école de Metz reste fidèle aux formes antiquisantes tout en donnant le rôle principal aux initiales historiées (sacramentaire de Drogon, Bibl. nat., lat. 9488). À Tours, la recension de la bible établie par Alcuin entraîna la confection de grandes bibles enluminées (Première Bible de Charles le Chauve ) dont les illustrations sont réparties sur des pleines pages, en longues bandes horizontales. Les peintures de l'Évangéliaire de Lothaire (Bibl. nat., lat. 266) ont gardé l'élan et l'audace de coloris du style rémois, alors que la seconde école de Reims s'inspire des bibles tourangelles (Bible de Saint-Paul-hors-les-Murs ). Quant aux ouvrages enluminés pour Charles le Chauve, dont ceux de Liuthard (Codex aureus ), ils furent sans doute faits à Saint-Denis. Toutefois, l'art carolingien n'est pas seulement constitué par ce retour à l'antique : un art provincial, beaucoup moins riche et moins savant, s'est développé à côté de l'art aulique, et d'autres tendances se manifestèrent dans les milieux de la Cour : les bibles que fit enluminer Théodulphe ont un décor aniconique, et la Seconde Bible de Charles le Chauve (Bibl. nat., lat. 2) ne fut ornée, à Saint-Amand, que de grandes lettrines élégantes, versions épurées des initiales insulaires, désignées sous le nom d'« initiales franco-saxonnes ».

Héritage carolingien et enluminure romane

En raison des invasions normandes dans l'ouest de l'Empire, les héritiers directs des Carolingiens furent les Ottoniens et les Anglo-Saxons. L'art antiquisant se maintint au Xe siècle dans les « abbayes d'État » protégées par Otton le Grand. Les scriptoria les plus actifs furent ceux de Mayence, Fulda, Reichenau où serait né le type d'initiale dorée, chargée de pampres et de fleurons tréflés, qui se répandit jusqu'en France et en Italie. À Trèves, le maître du Registrum Gregorii poursuivit la tradition antique en l'interprétant avec une sensibilité qui fait de ses peintures des chefs-d'œuvre inégalés (feuillets de Trèves et Chantilly ; Évangéliaire de la Sainte-Chapelle , Bibl. nat., lat. 8851). Son influence se fit sentir sur l'enluminure de Reichenau qui se distingue par une harmonie bleue, grise et mauve sur fond doré (Évangéliaire d'Otton III ). À Cologne et Salzbourg, la connaissance d'œuvres byzantines poussa les enlumineurs vers des recherches plus picturales (Péricopes de Munich , Staatsbibl. Clm 15713). Les enlumineurs anglais aboutirent à des résultats bien différents car, alors que les Ottoniens s'étaient servis de modèles de l'école du Palais ou de Saint-Denis, ils puisèrent leur inspiration dans les œuvres rémoises ; l'apparition dans les scriptoria du Xe siècle du dessin polychrome est due aux mêmes causes. Cette technique fut utilisée avec bonheur dans les manuscrits de l'école de Cantorbéry où les personnages s'envolent dans un bouillonnement d'étoffes (copies du Psautier d'Utrecht ; Psautier de Bury Saint Edmunds , Vatican, Reg. lat. 12). L'école de Winchester se caractérise par des gouaches épaisses aux couleurs douces et par des feuillages débordant largement des cadres et formant aux angles des hélices échevelées (Missel de R. de Jumièges , Rouen, ms. 274). Ces différents styles se fondirent dans l'enluminure romane ; l'union de ces éléments donna autant d'importance aux initiales qu'aux scènes figurées, et l'enlumineur roman eut recours à toutes sortes de combinaisons entre les lettres ornées, synthétiques et historiées. Les peintres du Nord renouèrent avec l'art carolingien grâce aux apports étrangers. L'influence anglaise se manifesta, dès le Xe siècle, à Fleury, puis à Vendôme (Homélies sur Ézéchiel , Orléans, ms. 175), en Normandie, à Saint-Omer, Arras (Psautier d'Odbert ; Bible d'Arras ). À Cîteaux, l'abbé Étienne Harding introduisit un style original (dessin caricatural, couleurs vives) représenté par la Bible et les Moralia in Job de Dijon , mais que les peintres cisterciens ne conservèrent pas. Les apports ottoniens se limitèrent d'abord aux régions de l'Est (Évangiles de Sennones ), puis s'étendirent à Cluny et à ses dépendances (lectionnaire, Bibl. nat., n. a. lat. 2246 ; Ildefonsus de Parme , ms. 1650). Mais, à Saint-Germain-des-Prés, le peintre Ingelard (1030-1060) enlumina un lectionnaire et un psautier avec une science qui ne devait rien aux apports étrangers. Un fait remarquable de l'histoire de l'enluminure romane est l'importance que prirent les scriptoria méridionaux ; l'art du Midi fut formé des mêmes éléments que celui du Nord, mais des influences mozarabes et orientales s'y ajoutèrent. Parmi ses constantes – importance du dessin, initiales franco-saxonnes simplifiées, entrelacs réservés sur fonds polychromes –, la plus caractéristique est le rinceau dit « rinceau aquitain » ; on trouve ces rinceaux dès la première moitié du XIe siècle à Limoges et Saint-Sever (Bibl. nat., lat. 1121, 8878). Vers 1100, l'enluminure méridionale atteignit son apogée dans les scriptoria d'Angers, Limoges, Moissac, Toulouse (Bible de Saint-Aubin d'Angers , ms. 4 ; Bible de Limoges , Flavius Josèphe de Toulouse , Bibl. nat., lat. 8, 5058). Au XIIe siècle, l'hégémonie est reprise par les ateliers du Nord, en contact avec les milieux mosans (Corbie, Saint-Amand, Saint-Omer). Toute une série de bibles, où les influences byzantines sont nettes, préfigure alors l'art gothique ; les bibles françaises de Souvigny, Lyon, Bourges, se situent dans la lignée des bibles anglaises de Winchester et de Lambeth.

Enluminure gothique

Les enlumineurs gothiques se tournèrent vers la recherche du naturalisme et de la perspective ; l'illustration du texte, groupée en tête de l'ouvrage ou sur des pleines pages, reprend alors toute son importance. Au milieu du XIIIe siècle, les ateliers royaux peignent pour les grands personnages de la Cour (Évangiles de la Sainte-Chapelle ; Psautier de Saint Louis , Bibl. nat., lat. 10525), dans un style à peine différent de celui des productions anglaises (3e copie du Psautier d'Utrecht ). Le premier atelier parisien connu est celui de maître Honoré, qui travailla pour Philippe le Bel. L'atelier fut ensuite dirigé par Richard de Verdun (Vie de saint Denis , Bibl. nat., fr. 2091). Les « drôleries », peintes avec humour, font leur apparition en Artois et Picardie. Les ateliers étrangers gardent leur originalité, en particulier ceux d'Italie qui s'approprient très vite les découvertes de la peinture de Giotto et des Lorenzetti ; la prépondérance parisienne s'affirme au XIVe siècle avec Jean Pucelle et ses collaborateurs : à la finesse du dessin, au modelé sensible, surtout dans les grisailles, ils allièrent les premiers essais de perspective à l'italienne (Heures de J. d'Évreux , New York, mus. des Cloîtres vers 1325-1328 ; Bréviaire de Belleville , Paris, Bibl. nat.). À la Bible de Jean de Sy (Paris, Bibl. nat.), entreprise sur l'ordre de Jean le Bon et continuée par ses fils, travailla l'un des enlumineurs de Charles V, dans le nouveau style à tendance naturaliste qui domine alors la peinture parisienne. Le mécénat de Charles V et de ses frères attira à Paris les peintres les plus réputés ; de ce rassemblement est sorti le style gothique international. À côté de maîtres encore mal identifiés (maîtres de Bedford, de Boucicaut, de Rohan), une place spéciale doit être faite aux enlumineurs des ducs de Bourgogne et de Jean de Berry : André Beauneveu (Psautier à l'usage de Bourges , Bibl. nat., fr. 13091), Jacquemart de Hesdin, les frères Limbourg (Belles Heures , Très Riches Heures , Petites Heures de Jean de Berry ). Mais les enlumineurs de la fin du XIVe et du XVe siècle, en portant à la perfection la science du modelé et de la perspective, ont définitivement rattaché l'art de l'enluminure à la peinture sur panneaux ; toutes deux évoluent désormais de la même façon, et les noms de Fouquet (Antiquités judaïques , Bibl. nat., fr. 247), de Bourdichon (Heures d'Anne de Bretagne , Bibl. nat., lat. 9474) le prouvent assez. Cependant, malgré le succès de l'imprimerie, on continue à enluminer des manuscrits, derniers sursauts d'un art qui se survit (Heures de Charles VIII , de Charles d'Angoulême , de Catherine de Médicis , de Louis XIV , et Guirlande de Julie ).

5. L'enluminure en Orient

Inde et Pakistan

L'enluminure naît au Bengale, au XIe siècle. Dans les œuvres de l'école de Goudjerat, les styles et la technique sont encore proches de ceux d'Ellora (personnages de profil, fonds rouges). Au XVIe siècle, sous les empereurs mogols, fut créée une école indo-persane dont les élèves, sous l'influence de la peinture occidentale, apprirent l'art du paysage et des fonds d'architectures, tout en restant fidèles aux traditions locales (personnages de profil, représentations de scènes de Cour et de harem). À côté de cette école, dont l'apogée se situe aux XVIe et XVIIe siècles, se développèrent les centres de Radjpoutana, de Kangra et de Basholi, qui se distinguent par l'audace de leurs coloris.

Enluminures arabes et persanes

Les prescriptions de la religion arabe contre les représentations figurées n'entravèrent pas l'essor de l'enluminure. Du IXe au XIVe siècle, la décoration des corans reste abstraite et s'inspire de la calligraphie ; les ornements furent d'abord limités aux cartouches séparant les versets, puis constituèrent des compositions entre les divers chapitres ; les frontispices sont ornés d'entrelacs et de lignes géométriques groupés dans un cadre rectangulaire auquel s'ajoute, en marge, un motif végétal. Les représentations figurées datent de l'époque abbaside.

C'est au XIIIe siècle que l'art du livre s'épanouit à Bagdad : après la simplicité des premières œuvres (Fables de Bipdai, Bibl. nat., arab. 3465) se manifestent des influences byzantines, surtout dans les arrière-plans architecturaux (De materia medica de Dioscoride, Istanbul, Ahmet III, 2127 ; les Séances, Bibl. nat., arab. 6094) ; mais les traditions arabo-musulmanes restent vivaces (Séances de Saint-Pétersbourg ; Séances d'Al Wasiti, Bibl. nat., arab. 5847). Lors de l'écroulement des Abbasides, au milieu du XIIIe siècle, l'influence chinoise devint prédominante (Les Merveilles de la création , Munich, Staatsbibl. C. arab. 464) et l'école de Bagdad finit par sombrer dans le conformisme. C'est en Perse, où avaient fui des enlumineurs de Bagdad, que le décor des livres va retrouver son éclat. À Tabriz, sous les Il-Khans, triomphe le style mogol (Chah-Nameh de Cambridge ; Kalila Wa Dimna, Istanbul, Bibl. univ.). Mais, à la même époque, le centre de Chiraz, beaucoup moins marqué par la peinture chinoise, produit des œuvres au dessin rapide et vif sur fond rouge (Mou'nis Al-Ahrar partagé entre New York, Cleveland, Princeton). Après la seconde invasion mogole, la dynastie des Timourides favorise un art tourné vers les recherches picturales, où le paysage tient une grande place (Épopée de Timour , British Mus., Or. 2780). Dans la seconde moitié du XVe siècle, le centre de l'enluminure passe de Chiraz à Hérat où un enlumineur de talent, Behzad, forma de nombreux élèves (Khamseh de Nizami , British Mus., Or. 6810). D'autres écoles furent fondées au XVIe siècle à Boukhara ainsi que dans plusieurs centres provinciaux.

Enluminure turque

L'enluminure turque est née sous les influences persane, hindoue et mogole, mais son attachement au réalisme et à l'expression lui a gardé toute son originalité. Au XIe siècle, le centre de décoration des manuscrits est à Konya, où l'école des derviches forme des peintres pour les ateliers royaux. Les Seldjoukides résistèrent au choc mogol du XIIIe siècle, mais ne purent empêcher l'influence mogole sur l'enluminure. La calligraphie naît au XIVe siècle, sous la dynastie ottomane, mais, en entrant à Constantinople en 1453, les Turcs découvrirent la peinture occidentale et surtout la peinture italienne. L'art du portrait se développa aux XVe et XVIe siècles avec les peintres Makkache Osman et Nigari (Fatih Mehmed tenant une rose , Topkapi , ms. 171346 ; Portrait de Soliman ). Au XVIIe siècle, l'enluminure prend un caractère anecdotique (mss de la Prise de Hotin et d'Egri ) et le prestige des modes occidentales finit par entraîner la préférence pour la peinture autonome et la miniature.



PAPIER


Depuis son apparition au XIIe siècle dans le monde occidental, le papier est intuitivement associé à l'écriture, à la transmission et à la diffusion de la pensée. Demeuré rare et cher pendant sept siècles, c'est-à-dire aussi longtemps qu'il est resté fabriqué feuille par feuille en faisant appel à une matière première très élaborée (les chiffons de lin, de chanvre et de coton), il est devenu depuis cent ans un produit de grande consommation, préparé à vitesse élevée dans des installations puissantes à partir de ressources végétales – essentiellement le bois – pratiquement inépuisables car se reconstituant chaque année par photosynthèse. Contrairement à une idée répandue, la fabrication du papier ne détruit pas les forêts, mais fournit à leurs propriétaires les moyens de les entretenir et de les renouveler.

La chute spectaculaire des coûts due à la production de masse a ouvert au papier de nombreux autres débouchés hors du domaine graphique, notamment dans l'emballage, les usages industriels et les emplois domestiques. Sa vocation initiale a cependant été conservée, puisque la moitié au moins des tonnages actuellement fabriqués servent toujours à l'impression et à l'écriture. Sa consommation s'accroît régulièrement tous les ans. Elle est très inégalement répartie dans le monde. Elle est forte (de 100 à 200 kg ou plus par an et par habitant) dans les pays industrialisés, faible (moins de 20 kg par an et par habitant) ailleurs.

Papier à la cuve

L'origine du papier doit être cherchée en Chine, où sa fabrication aurait commencé dès le IIe siècle. La technique utilisée est restée secrète jusqu'au VIIIe siècle, époque à laquelle les conquérants mongols l'ont acquise, puis transmise à l'ouest, notamment à Samarcande, ville qui était devenue vers 750 un centre de production important. De là, elle s'est répandue au Moyen-Orient, notamment en Syrie (Damas) et en Mésopotamie (Bagdad), où les croisés l'ont trouvée. Un premier centre de production s'est créé en Italie dès 1250 dans la petite ville de Fabriano, près d'Ancône, et a approvisionné l'Europe entière jusqu'au moment – le milieu du XIVe siècle – où les gros consommateurs français (les universités, les abbayes, les chancelleries) ont importé, non plus le produit fini, mais la technique pour le fabriquer. La matière première – les chiffons – était opportunément devenue disponible grâce au port du linge de corps (notamment de la chemise), qui s'est généralisé à cette époque et a entraîné une grande expansion de la culture du lin. Deux cents ans plus tard, la France non seulement se suffisait à elle-même, mais était exportatrice dans tous les pays d'Europe (la diffusion de ses produits est suivie à l'aide des filigranes qui marquent les feuilles en transparence et en attestent la provenance).

Le rôle prééminent de la France dans la fabrication du papier a duré jusqu'à la révocation de l'édit de Nantes, qui a forcé les meilleurs artisans à s'expatrier. Dès 1725, la plupart des pays européens, ainsi que les colonies anglaises d'Amérique, s'étaient dotés d'une production nationale. La technique était la même partout. Des moulins à papier installés le long des rivières utilisaient la force motrice du courant pour actionner des maillets armés de dents tranchantes qui réduisaient des chiffons de lin, de chanvre et de coton à l'état de pâte papetière, autrement dit d'une suspension aqueuse contenant quelques grammes de matières solides par litre. Le papier était confectionné feuille après feuille, au moyen d'instruments appelés formes. Les formes étaient des cadres rectangulaires en bois fermés d'un côté par quinze à vingt minces tiges parallèles en sapin, appelées pontuseaux, sur lesquelles reposait un réseau serré de fils transversaux en laiton, dits vergeurs. Elles étaient plongées manuellement dans une cuve emplie de pâte, puis retirées. L'eau s'écoulait à travers les ouvertures du réseau, mais non les matières solides, qui se rassemblaient sur les vergeurs en créant un matelas fibreux. Ce matelas fibreux était déposé (par renversement) sur un feutre, puis introduit avec son support – en même temps que d'autres – entre les plateaux d'une presse, qui expulsait une bonne partie du liquide aqueux et faisait naître une feuille suffisamment solide pour être mise à sécher sur des cordes.

Les feuilles produites par cette méthode, dite à la cuve, avaient la dimension des formes qui leur donnaient naissance. Cette dimension a varié selon les époques et selon les lieux. À partir du XVIIe siècle, les différents formats (de 31 cm Z 40 cm à 56 cm Z 76 cm) ont été identifiés par un motif graphique – dans l'ordre des grandeurs croissantes un pot, une couronne, une coquille, des raisins, un jésus –, qui était visible en filigrane dans l'épaisseur de la feuille en même temps qu'une image fantôme des pontuseaux et des vergeurs. Ce motif et cette image ont disparu à la fin du XVIIIe siècle, quand lesdits pontuseaux et vergeurs ont été remplacés par une fine toile métallique ne laissant aucune trace discernable en transparence (les papiers fabriqués antérieurement à ce remplacement sont dits vergés, les papiers fabriqués postérieurement ont été appelés vélins).

Machines à papier

L'idée de construire une machine capable d'exécuter automatiquement les quatre opérations de la mise en feuille – l'écoulement de l'eau à travers une toile métallique, le transfert du matelas fibreux sur un feutre, l'expulsion de l'eau par pression et le séchage final par évaporation – est née en France à la fin du XVIIIe siècle dans le cerveau de Louis-Nicolas Robert, employé à la Papeterie d'Essonnes, qui a construit un prototype. Cependant, la première machine à papier du monde a été réalisée en Angleterre, pays industriellement en avance sur le continent, et a fonctionné en 1803.

Les machines à papier modernes (fig. 1 et 2) sont des mécaniques énormes qui respectent le principe mis en œuvre par les machines primitives, lesquelles reprenaient elles-mêmes le schéma des opérations manuelles. La pâte très diluée (quelques grammes par litre) est déversée sur une toile (métallique ou plastique) tendue entre deux rouleaux qui l'animent d'un mouvement de translation horizontal (à la vitesse de 100 m à la minute sur les machines lentes, de 1 000 m à la minute sur les machines rapides). Cette toile, dont la longueur se mesure en mètres, repose sur de petits rouleaux auxquels on a donné le nom de pontuseaux. La tendance, en particulier lorsque les machines sont destinées à produire des papiers de grande consommation comme le journal, est d'utiliser deux toiles décrivant chacune un parcours différent – pas toujours horizontal –, mais fusionnant in fine en un seul les deux matelas fibreux qu'elles créent. Le matelas fibreux formé à la fin de la toile (ou des deux toiles) est très humide. Il contient à peu près 80 p. 100 d'eau. Il ne possède aucune cohésion. C'est pourquoi il est engagé par un cylindre ad hoc sur le feutre sans fin d'une presse, dispositif mécanique fait de deux rouleaux rapprochés, parallèles et superposés, tournant en sens inverse autour d'un axe horizontal. Porté par le feutre, il passe dans l'étroit intervalle séparant les deux rouleaux, où il perd une partie de son eau. L'opération est répétée sur une deuxième et sur une troisième presse, parfois aussi sur une quatrième et sur une cinquième. Elle a pour résultat de transformer le matelas humide initial en un ruban continu dont la teneur aqueuse est un peu supérieure à 50 p. 100 et qui possède dès lors une structure suffisamment cohérente pour entrer seul en sécherie.

La sécherie est un grand ensemble mécanique fait de plusieurs dizaines de gros cylindres métalliques creux chauffés à la vapeur, de diamètre égal ou supérieur à 1,5 m et superposés en deux niveaux par batteries de six à dix. Dans chaque batterie, la feuille – provenant de la section des presses – est étroitement appliquée sur le pourtour des cylindres par un feutre (ou par une toile plastique). Elle quitte la sécherie à l'état sec, c'est-à-dire avec une teneur aqueuse voisine de 7 p. 100, pouvant varier de quelques pour-cent pendant la vie du matériau qui, étant de nature hygroscopique, capte ou perd facilement de l'humidité en fonction de la pression exercée par la vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère où il se trouve.

De nombreuses machines à papier comprennent aux deux tiers ou aux trois quarts de la sécherie un dispositif à deux rouleaux transversaux caoutchoutés, dit presse encolleuse, servant à déposer sur la feuille encore humide une enduction légère (deux ou trois grammes de matière sèche par mètre carré et par face) d'une substance telle que l'amidon. La plupart d'entre elles possèdent, par ailleurs, à la fin de la sécherie un dispositif mécanique, la lisse, comprenant de trois à huit rouleaux superposés en fonte polie, entre lesquels la feuille passe en pression avant d'être bobinée.

Le bois, matière première

La mécanisation de la fabrication a posé dans toute son ampleur le problème de la matière première – les chiffons –, qu'une armée de ramasseurs parcourant les villes et les campagnes arrivait difficilement à collecter en quantités suffisantes au temps du procédé à la cuve. Le remède à la pénurie endémique a été trouvé dans le bois. Le bois a commencé à être utilisé vers 1850, lorsqu'on s'est aperçu qu'il était aisément râpé sur une meule et que le produit résultant pouvait être incorporé en proportions élevées à la pâte de chiffons. L'exploitation totale de ses ressources a eu lieu une trentaine d'années plus tard, quand on s'est avisé qu'il contient de 40 à 50 p. 100 de cellulose – constituant essentiel des chiffons – et quand on a trouvé le moyen d'isoler cette cellulose en éliminant les 50 à 60 p. 100 restants. Ce matériau est alors devenu la matière première universelle du papier.

La cellulose se trouve dans les fibres du bois, qui sont longues de 2 à 4 millimètres chez les résineux (les sapins, les épicéas, les pins), d'environ 1 millimètre chez les feuillus (les peupliers, les trembles, les bouleaux, les hêtres, les chênes, les châtaigniers), ainsi que chez les eucalyptus. Elle est constituée de macromolécules linéaires répétant plusieurs milliers de fois un même motif chimique, dans lequel des atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène sont présents en quantités définies et sont situés à des endroits déterminés (fig. 3). Elle est un polymère élevé doté d'une insolubilité quasi totale. Elle est accompagnée par des hémicelluloses (de 15 à 40 p. 100) et par de la lignine (de 15 à 25 p. 100). Les hémicelluloses ont à peu près la même composition qu'elle, mais possèdent des macromolécules moins longues et souvent ramifiées. Très hydrophiles et très adhésives, elles sont associées aux fibres et à la lignine. Elles se laissent dissoudre dans bon nombre de réactifs. Quant à la lignine, c'est une sorte de matière plastique naturelle à laquelle les végétaux doivent leur rigidité. Elle est faite elle aussi de carbone, d'hydrogène et d'oxygène, mais ces éléments sont présents dans des proportions et dans des arrangements différents. N'étant que très faiblement polymérisée, elle est soluble dans bon nombre d'agents.

L'exploitation papetière des matériaux ligneux s'est développée dans les deux filières découvertes avant la fin du XIXe siècle, c'est-à-dire dans l'utilisation du bois simplement râpé d'une part et dans la mise en œuvre du bois débarrassé des éléments étrangers à la cellulose d'autre part. La première a donné naissance aux pâtes mécaniques, la seconde aux pâtes chimiques.

Pâtes mécaniques et pâtes chimiques

Les pâtes mécaniques sont faites de bois simplement râpé ou broyé. Contenant tous les constituants du matériau ligneux qui leur donne naissance, à savoir la cellulose, les hémicelluloses et la lignine, elles sont obtenues avec un rendement élevé (voisin de 95 p. 100), mais au prix d'une grande dépense d'énergie (de 1 à 2 kW par kilogramme de pâte sèche). Elles sont traditionnellement préparées à partir de résineux à fibres longues dans de puissants engins mécaniques appelés défibreurs, où le bois est pressé sous forme de rondins – et en présence d'eau – contre d'énormes meules. Elles sont toutefois de plus en plus souvent produites à partir de bois débité en chips, qui sont désintégrés par des appareils à disques équipés de lames tranchantes. Inventées pour servir de substitut abondant et bon marché aux pâtes de chiffons, elles ont conservé ce rôle lorsque la cellulose du bois a remplacé la cellulose du lin, du chanvre et du coton. Elles sont en fait des charges nobles, autrement dit des matériaux incapables de former à eux seuls une feuille cohérente, mais susceptibles d'entrer en proportion élevée (jusqu'à 80 p. 100) à côté des pâtes chimiques dans la composition du papier. Elles sont appelées thermomécaniques lorsque le râpage ou la désintégration sont réalisés sous pression, autrement dit à une température supérieure à 100 0C. Elles ont alors une cohésion plus forte et peuvent intervenir en proportion plus grande (allant jusqu'à 90 p. 100). Dans les deux cas, elles sont recueillies sous l'aspect d'une suspension aqueuse très diluée contenant des fibres isolées et des paquets de fibres – ou de fragments de fibres – cimentés par la lignine. Elles sont presque toujours préparées à proximité des machines à papier, vers lesquelles elles sont acheminées par des tuyauteries appropriées.

Les pâtes chimiques ont complètement remplacé les pâtes de chiffons. Elles sont devenues la base de tous les papiers, qu'elles soient employées seules (dans les papiers dits sans bois) ou combinées à des pâtes mécaniques et thermomécaniques (dans les papiers dits avec traces de bois, avec peu de bois ou avec bois). Elles sont constituées par la cellulose du matériau ligneux et par une certaine portion de ses hémicelluloses. Elles sont obtenues indifféremment à partir de résineux, de feuillus et d'eucalyptus par dissolution des éléments indésirables – la lignine et la portion non souhaitée des hémicelluloses – dans un milieu aqueux renfermant les réactifs appropriés. Deux procédés assurent la quasi-totalité de la production. Le premier, dit au bisulfite, a pour agent actif l'anhydride sulfureux. Le second, dit au sulfate, met en œuvre un mélange de soude et de sulfure de sodium. Dans les deux cas, la dissolution est obtenue en milieu aqueux par cuisson sous pression au sein d'immenses vaisseaux verticaux, les lessiveurs (fig. 4), à l'intérieur desquels le matériau ligneux, débité en chips, est introduit par le haut, tandis que des tuyauteries apportent les réactifs et la vapeur nécessaires. Après quelques heures de traitement, les éléments indésirables sont dissous dans le milieu aqueux, qui devient une liqueur résiduaire à évacuer. La cellulose et les fractions conservées des hémicelluloses apparaissent sous la forme solide au bas du lessiveur. Elles représentent à peu près 50 p. 100 du bois initial lorsque la cuisson est réglée (en température et en durée) de manière à préparer de vraies pâtes chimiques. Elles représentent jusqu'à 70 p. 100 du bois initial quand la cuisson est conduite de manière à préparer des pâtes mi-chimiques à haut rendement. Elles sont désintégrées dans le premier cas par simple soufflage d'air, dans le second cas par une action mécanique plus ou moins importante, puis sont dispersées, lavées et éventuellement blanchies dans un grand volume d'eau. Elles sont ensuite envoyées sous la forme liquide – par canalisations – vers les machines à papier quand celles-ci se trouvent dans leur proximité immédiate. Elles sont transformées – par un presse-pâte (une machine à papier simplifiée) – en plaques sèches épaisses de quelques centimètres lorsqu'elles sont appelées à être mises en œuvre loin de leur lieu de production.

Autres matières premières

L'idée est venue très tôt aux industriels du papier d'exploiter en plus du bois, qui met de dix à soixante ans (selon les espèces et les climats) à se reconstituer, soit des plantes annuelles poussant à l'état sauvage dans de vastes espaces impropres à toute autre culture (l'alfa en Afrique du Nord, les roseaux dans le delta du Danube, les bambous en Asie), soit les sous-produits de plantes annuelles faisant l'objet d'une activité agricole (la paille des céréales, les bagasses des cannes à sucre). Outre le fait que ces matériaux contiennent moins de cellulose que le bois, plusieurs raisons, dont quelques-unes sont techniques, font que leur exploitation n'est rentable que si leur prix d'achat est nul ou quasi nul. C'est pourquoi elles ne constituent qu'une faible fraction – quelques pour-cent – du total des matières premières papetières utilisées.

Une autre source de matière première papetière, beaucoup plus importante, est la récupération des vieux papiers. Elle représente 25 p. 100 des tonnages consommés dans le monde (40 p. 100 dans les pays industrialisés). Le principal problème que son exploitation pose n'est pas technique. Il réside dans la collecte, qui ne peut être organisée d'une manière rentable que dans de grands centres très peuplés. Les vieux papiers non triés – les gros de rue – servent depuis longtemps à faire des cartons gris, dont les emplois sont multiples (en France, le mot carton désigne un papier dont le poids atteint au moins 225 g par mètre carré). Les vieux papiers triés par lots homogènes, notamment les périodiques et les quotidiens invendus, font l'objet de traitements élaborés – désencrage, lavage, blanchiment –, qui les transforment en une pâte pouvant entrer en proportion élevée (parfois jusqu'à 100 p. 100) dans la composition de papiers impression-écriture.

Blancheur et pollution

La blancheur étant intuitivement associée à la notion de qualité, des efforts ont toujours été déployés pour améliorer cette propriété, d'abord dans les feuilles issues du procédé à la cuve, qui étaient simplement exposées au soleil, puis, lorsque des agents adéquats sont devenus disponibles, dans les pâtes papetières elles-mêmes.

Les pâtes mécaniques sont consommées dans leur grande majorité écrues, c'est-à-dire avec leur teinte naturelle, qui est celle du bois d'origine (notamment quand elles servent à fabriquer du papier journal). Elles sont blanchies quand elles interviennent à côté des pâtes chimiques dans la composition de papiers impression-écriture de qualité. Les pâtes chimiques, elles, sont toujours blanchies, sauf quand elles servent à fabriquer des papiers d'emballage dits kraft, très résistants et très bruns. Les agents de blanchiment sont des oxydants, le chlore et l'oxygène, généralement fournis in situ par des dérivés tels que l'eau de Javel et le dioxyde de chlore pour le chlore, les peroxydes – dont l'eau oxygénée – pour l'oxygène. Ces dérivés, devenus abondants et relativement peu coûteux après la Seconde Guerre mondiale, sont travaillés dans de vastes cuves horizontales ou verticales, à l'intérieur desquelles la pâte, très diluée, circule pendant plusieurs heures. Les opérations comprennent une ou deux phases quand les pâtes sont relativement claires et les exigences de blancheur modestes, plusieurs phases (jusqu'à sept) quand les pâtes sont foncées et les exigences de blancheur élevées. Des considérations écologiques et commerciales font que la tendance actuelle est de favoriser l'oxygène aux dépens du chlore. La mise au point de méthodes de blanchiment très actives a introduit un grand changement dans la production des pâtes chimiques et a éliminé du même coup une source de pollution. Elle a permis l'abandon du procédé au bisulfite, qui jouissait jusqu'alors d'un quasi-monopole parce qu'il fournit des pâtes claires faciles à blanchir, mais qui donnait naissance à des liqueurs résiduaires dont on ne savait que faire et qu'on déversait trop souvent dans la nature. Elle a fait le succès du procédé au sulfate, qui produit des pâtes naturellement très foncées (dont le seul débouché a longtemps été le papier kraft), mais qui ne pollue pas, parce qu'il traite ses liqueurs résiduaires. Lesdites liqueurs sont concentrées après récupération de l'agent actif qui s'y trouve dissous, puis brûlées dans des chaudières fournissant de la vapeur. Les eaux usées résultantes sont envoyées dans des stations d'épuration efficaces, qui restituent à leur sortie un liquide ayant des propriétés physiques et chimiques souvent meilleures que lors de leur prélèvement dans les rivières, les lacs ou les puits. Une nuisance subsistante est d'ordre olfactif : c'est une odeur fétide typique – celle d'un composé organique soufré échappé des lessiveurs sous forme gazeuse – qui est parfois perceptible dans le voisinage des installations.

Traitements superficiels

Les papiers se différencient les uns des autres par de nombreux critères, dont les principaux sont la composition interne et le traitement superficiel reçu. La composition interne précise les proportions relatives de pâtes chimiques et de pâtes mécaniques intervenant dans la fabrication, ainsi que la présence éventuelle d'adjuvants divers et de charges minérales (fines poudres de kaolin, de talc ou de carbonate de chaux utilisées en proportion pouvant aller jusqu'à 35 p. 100 en poids). Le traitement superficiel a pour but d'améliorer l'état de surface de la feuille sortant de la sécherie, état qui doit à la structure interne du matériau cellulosique de se présenter comme un ensemble de crêtes fibreuses séparées par des vallées profondes de quelques dixièmes de millimètre. Des différences de niveau aussi importantes sont rarement acceptables par les utilisateurs. C'est pourquoi elles sont soit atténuées, soit masquées par diverses méthodes. La première méthode fait passer la feuille entre les rouleaux superposés – en fonte polie – de la lisse située juste avant la bobineuse sur la plupart des machines à papier. Elle produit – par compression – des matériaux dits apprêtés. La seconde méthode poursuit le travail d'atténuation accompli par la première. Elle fait appel à des calandres, dispositifs mécaniques indépendants de la machine à papier, comprenant de dix à vingt rouleaux superposés, alternativement faits de métal poli et de coton comprimé. Elle engendre – par compression et friction – des matériaux dits satinés.

Les passages en lisse et en calandre n'arrivant pas toujours à conférer l'état de surface souhaité, une troisième méthode, le couchage, est largement pratiquée. Elle consiste à masquer les inégalités superficielles du papier en déposant sur ses deux faces (parfois sur une seule) un mince enduit minéral (le plus souvent composé de kaolin et de carbonate de calcium), dont les minuscules particules (ordre de grandeur, quelques micromètres) sont unies entre elles et au support par un adhésif (un latex synthétique associé à des substances comme l'amidon et la caséine). Cet enduit comble les vallées ouvertes entre les crêtes fibreuses et, lorsqu'il est suffisamment épais, recouvre en plus les crêtes fibreuses. Il est déposé en phase aqueuse par des machines (fig. 5) équipées de rouleaux enducteurs et de râcles égalisatrices, ainsi que de puissants systèmes de séchage permettant de travailler à quelques centaines de mètres à la minute (son application est souvent précédée d'une légère enduction pratiquée au moyen de la presse encolleuse présente dans bon nombre de sécheries). Il produit des surfaces particulièrement unies, dont les plus hauts reliefs n'excèdent pas – au pire – la dimension des plus gros agrégats de particules, c'est-à-dire quelques centièmes de millimètre.

Les machines à papier fournissent une bande dont la largeur – la laize – est rarement inférieure à 2 mètres et atteint parfois 10 mètres, voire davantage. Les bobines mères qui en sortent passent telles quelles dans les lisses. Elles sont parfois sectionnées en deux avant d'entrer dans les calandres et dans les coucheuses. Après les traitements superficiels, elles sont débitées en bobines filles plus étroites, qui sont directement envoyées aux utilisateurs ou sont découpées en formats.



ILLUSTRATION ET ILLUSTRES


Un effet de mode gonfle aujourd'hui les interprétations possibles du mot illustration , qui pourrait désigner l'hebdomadaire « à images » fondé en 1843 sous ce nom par Paulin, Johanne et Charton, aussi bien qu'un survol de l'histoire du livre illustré ou qu'un bilan méthodologique sur un domaine d'études, le texte et l'image, apparu il y a une quinzaine d'années. À l'ambiguïté de la notion s'ajoute la polémique qui entache un terme problématique, tantôt vilipendé parce qu'il définirait un genre mineur, fondé sur la dépendance littérale de l'image par rapport au texte, tantôt valorisé parce qu'il permettrait la saisie de nouvelles interrogations à la croisée de l'histoire de l'art et de la gravure, de l'histoire littéraire et de l'histoire du livre.

L'approche ici retenue sera fondée sur l'itinéraire de cette notion dans la langue française, où elle apparaît vers 1830, dans le sens d'image gravée associée à un texte imprimé sur un support en papier, se développe tout au long du romantisme et du réalisme, pour être contestée dans le dernier quart du XIXe siècle, remise en cause tant par les applications de la photographie que par l'esthétique de l'art pour l'art et le livre de peintre.

Bien qu'elle soit issue de modèles anglais offerts par la presse et le livre, c'est en France en effet que l'illustration a trouvé son plein essor au point de devenir momentanément un art majeur, comme le remarquait Henri Zerner dans l'article ROMANTISME.

Favorisé par la rencontre de l'écrivain et de l'artiste que suppose le cénacle romantique, cet essor remarquable découle aussi de l'importance accrue du monde des éditeurs : en effet, l'illustration est une lecture du texte qui a pour fonction principale d'adapter l'écrit au lecteur visé afin d'élargir le public de l'imprimé.

1. Fortunes d'un mot

En 1931 paraissait L'Art du livre en France des origines à nos jours , par Frantz Calot, Louis-Marie Michon et Paul Augoulvent ; en 1984, L'Illustration. Histoire d'un art , par Michel Melot : ce glissement de titres, pour traiter du même sujet à un demi-siècle d'intervalle, est très significatif.

Acceptions récentes

Les connotations négatives de l'illustration trop « illustrative » se sont effacées, et il n'y a plus à occulter un mot qui est redevenu celui d'un art à part entière. Ce renversement peut être daté, entre 1968, date de la publication du Livre romantique de Jean Adhémar et Jean-Pierre Seguin, qui élude l'adjectif « illustré », et 1971, lorsque paraît l'ouvrage de Gérard Bertrand, L'Illustration de la poésie à l'époque du cubisme, 1909-1914 ... Dans cette encyclopédie même, c'est un article intitulé « Art du livre » (cf. voir LIVRE, vol. XI) qui a eu pour tâche de retracer l'histoire du livre illustré : il serait inutile d'en proposer un doublon.

Pourtant, le changement de label n'est pas insignifiant : l'art du livre, dans l'avertissement de Frantz Calot, met « à la portée du grand public un chapitre important de l'histoire des arts, jusqu'alors un peu négligé hors du cercle étroit des bibliophiles et des érudits », en l'initiant aux « chefs-d'œuvre de la typographie, de l'illustration, de la miniature et de la reliure » ; le propos est donc de faire entrer dans l'histoire de l'art celle des chefs-d'œuvre de la bibliophilie, dont l'illustration n'est qu'un élément, à côté de la reliure et de la typographie. C'est d'emblée une question autre que soulève auprès du même public le livre de Michel Melot : « au-delà des énumérations et des anthologies bibliophiliques, cet ouvrage cherche à comprendre comment, à chaque époque, s'est fondé le rapport entre le texte et l'image » ; en un vaste parcours qui mène du manuscrit enluminé à l'iconothèque de l'ère informatique, ce qui était une histoire de la création bibliophilique se déplace vers une typologie des signes, « analysant les complicités et les concurrences du texte et de l'image aussi bien dans la confusion du pictogramme que dans la séparation radicale de l'art classique, dans les équivoques de la calligraphie que dans les "correspondances" romantiques ». D'abord confinées aux frontières des filières universitaires, ou offertes en terrain d'exercice aux voies de la sémiologie, les études sur le texte et l'image prennent une importance croissante dans la mesure où elles fondent maintenant l'archéologie de l'audiovisuel. L'illustration ainsi comprise ne se rapporte pas seulement au livre, mais aux multiples supports du texte et de l'image, de l'affiche au grand art, comme le rappellent le bel essai de Michel Butor Les Mots dans la peinture (1969) ou l'ouvrage de David Scott, Pictorialist Poetics (1988). Ainsi en est-il de l'illustration au sens large, étiquette sans doute préférable aux néologismes dont le dernier proposé fut « iconotexte » (colloque de Clermont-Ferrand, printemps de 1988), par lequel Michael Nehrlich souhaitait désigner l'ensemble des travaux en cours sur le texte et l'image, aussi divers par leur extension chronologique que par celle des corpus et des méthodes.

Définitions anciennes

L'illustration au sens strict, qui sera traitée ici, joue un rôle exemplaire par rapport à l'acception large du terme, puisqu'elle représente une étape décisive dans l'histoire culturelle des relations entre le texte et l'image : sans s'étendre à la problématique voisine du sujet littéraire dans les expressions plastiques, elle s'arrête à l'objet publié sur un support en papier, qui n'est pas toujours un livre ; la fondation du journal L'Illustration en 1843 en est l'événement type qui marque toute l'importance de ce tournant.

Le sens visuel, aujourd'hui le plus courant du mot illustration , comme « représentation graphique (dessin, figure, image, photographie) généralement exécutée pour être intercalée dans un texte imprimé » n'est apparu que sous la monarchie de Juillet ; auparavant prévalait le sens apparu au début du XVIe siècle, mais de nos jours perçu comme vieilli, d'« action de rendre illustre quelqu'un ou de se rendre illustre », ou « personnage illustre » (Trésor de la langue française ). En 1835, le dictionnaire de l'Académie ignore encore le mot illustrateur et par là même ne sanctionne pas l'apparition de ce nouveau métier. Elle n'admet illustre , comme illustration et illustrer , que dans le sens de l'homme illustre, « éclatant, célèbre par le mérite, par la noblesse, par quelque chose de louable et d'extraordinaire » ; quatre ans plus tard, dans le complément à ce dictionnaire, le sens moderne est reconnu, puisque illustrer, ce sera « orner de gravures, de dessins un livre ».

Les dictionnaires ne font qu'entériner les nouveaux sens ou les nouveaux mots, déjà reconnus par la langue courante ou les vocabulaires spécialisés ; pour « illustration » et sa famille, pris dans le sens moderne, ils indiquent une chronologie très significative : entre 1835 et 1839 s'est bien imposé en France un nouvel « art d'illustration » ; le journalisme, plus proche du langage parlé, et les chroniques bibliographiques avaient utilisé le mot illustration quelques années plus tôt, soit comme un mot de paléographie synonyme d'enluminure, soit comme un anglicisme marqué par des italiques (en 1829, dans la Revue britannique , puis en 1832, à deux reprises, dans les comptes rendus de L'Artiste ).

En Angleterre, les titres des grands ouvrages illustrés publiés par souscription contenaient depuis la fin du XVIIIe siècle le mot illustration ou illustrated , dont la véritable fortune est liée à la carrière du premier grand illustrateur de métier, George Cruikshank. De la même manière, en France, le métier d'illustrateur est apparu inséparable de la figure de Tony Johannot qui « est, sans contredit, le roi de l'illustration . Il y a quelques années, un roman, un poème ne pouvait paraître sans une vignette sur bois signée de lui : que d'héroïnes à la taille frêle, au col de cygne, aux cheveux ruisselants, au pied imperceptible il a confiées au papier de Chine ! Combien de truands en guenilles, de chevaliers armés de pied en cap, de tarasques écaillées et griffues il a semés sur les couvertures beurre frais ou jaune serin des romans du Moyen Âge ! Toute la poésie et toute la littérature moderne lui ont passé par les mains ». « Il faut que l'artiste comprenne le poète [...], il ne s'agit pas [...] de copier la réalité comme on la voit [...]. L'illustrateur , qu'on nous permette ce néologisme, qui n'en est presque plus un, ne doit voir qu'avec les yeux d'un autre » : ces deux citations, empruntées à une courte monographie sur Johannot dans les Portraits littéraires de Théophile Gautier (1845), ont nourri les exemples des dictionnaires, du Bescherelle au Robert et au Trésor de la langue française pour illustrateur comme pour illustration . Cette mise au point lexicologique permet de dater l'émergence de la notion d'illustration dans la langue, et, à partir de là, dans l'histoire de l'image et dans celle du livre illustré : auparavant dominait l'idée du livre « orné de figures ». Mais peut-on déceler aussi dans les dictionnaires la fin de l'ère de l'illustration ? À vrai dire, le terme n'a pas disparu, il est toujours vivant, mais chargé de nuances péjoratives, ou cantonné dans quelques domaines spécialisés – de nos jours, le livre pour enfants et les couvertures illustrées des magazines ou des livres de poche. Les dictionnaires ne filtrent pas le moment où cette nouvelle nuance de sens s'est imposée : mieux vaut ici invoquer le témoignage des peintres du livre qui, depuis Redon, ont rejeté la dénomination d'illustrateur .

2. Le siècle de l'illustration

Au XIXe siècle, la grande période de l'illustration se déploie en France entre 1830 et 1875 environ, après s'être annoncée sous la Restauration ; elle s'est manifestée de manières différentes, par étapes successives, et à travers des genres variés, liés aux publics visés par l'éditeur. Elle relève de la phase de croissance de l'imprimé, subordonnée à l'alphabétisation massive, qui coïncide avec l'avènement de l'image, d'autant plus que les perfectionnements techniques, l'accroissement des tirages ont permis de diminuer les prix de vente : malgré la prophétie de Victor Hugo, qui est celle de la « galaxie Gutenberg » et du « sacre de l'écrivain », le texte ne tuera pas l'image, ni l'imprimé l'architecture, ceci ne tuera pas cela (Notre-Dame de Paris , chapitre ajouté en 1832) !

Finement gravée sur bois de bout, la vignette imite le croquis à la plume, et son « griffonnis » flotte sur l'espace de la page imprimée où elle prend place à l'intérieur de la justification. D'abord réservée à cette « entrée » du livre qu'est la couverture ou la page de titre, elle s'immisce par la suite dans le cours du texte dont elle devient l'incessant contrepoint.

La vignette-frontispice

L'étape de la vignette-frontispice, dont Asselineau et Champfleury furent les premiers historiens, s'annonce chez Achille Devéria, Henri Monnier, Louis Boulanger et Tony Johannot à la fin des années 1820 et s'impose entre 1830 et 1835, avec un sommet en 1832 et 1833. Elle est l'apanage presque exclusif de Tony Johannot, inséparable du graveur Henri-Désiré Porret. Le public, au dire des contemporains, s'arrache ces vignettes : « nous voulons des vignettes, le libraire veut des vignettes, le public veut des vignettes » (Edouard Thierry, préface de Sous les rideaux , 1832). Celles-ci deviennent une nécessité pour lancer les nouveautés littéraires de Gustave Drouineau, du vicomte d'Arlincourt, de Régnier-Destourbet, d'Eugène Sue, de Jules Janin ou d'Alphonse Karr, mais aussi de Vigny, Balzac ou Victor Hugo : drames, poésies romantiques et, plus que tout, romans, qu'elles font lire dans les cabinets de lecture. Semblables à l'enseigne, elles se rendent inséparables du titre du livre qu'elles représentent : « ces vignettes, pour lesquelles on choisissait toujours la scène la plus horrible du drame ou du roman, sont comme les armes parlantes du romantisme » (Adolphe Jullien, Le Romantisme et l'éditeur Renduel , 1897) ; dans L'Artiste , comptes rendus et annonces reproduisent les vignettes et les commentent, à tel point que l'image, à l'instar du titre, connaît une diffusion plus large que le livre lui-même !

Ces articles témoignent de la manière dont les contemporains reçoivent les vignettes, comme une énigme entretenant un suspense dont il sera de bon ton dans les salons de détenir la clé. Loin de prétendre résumer le livre entier, la vignette montre la scène à sensation, non sans un goût pour les effets de mélodrame : le Grand Guignol et le paroxysme ; la mélancolie et le sentimentalisme ; le tableau vivant. Mais les stéréotypes qui s'adressent au public large des « nouveaux lecteurs » sont parfois empreints d'ironie et peuvent être appréciés au second degré ; la technique de la gravure se prête à un schéma de composition en deux zones séparées par une diagonale, le blanc et le noir, le bien et le mal – rappel sommaire de l'antithèse préconisée par le Préface de Cromwell (1827). Pleinement romantique par la synthèse des modes d'expression qu'elle suppose, la vignette réunit le paroxysme et l'ironie : comme l'écrit Asselineau, « on exagérait la cocarde, et l'on chargeait la couleur du drapeau et, plus le titre était surprenant, plus la vignette était farouche [...] plus on était sûr de ne pas être confondu avec l'ennemi ». À la présence croissante de l'éditeur, Renduel, Ladvocat, Gosselin, Urbain Canel, répond l'avènement de la réclame, qui fait appel à des effets visuels, dont la vignette n'est que le plus important : sur la couverture imprimée du livre broché, cette invention récente de la librairie, les fonds colorés et les caractères de fantaisie attirent le regard et appâtent le lecteur, comme savaient déjà le faire les affiches des théâtres parisiens, qui ont chacun leur couleur propre depuis l'Empire.

L'une des meilleures vignettes fut dessinée par Johannot pour la couverture illustrée de Notre-Dame de Paris : la grimace de Quasimodo dans l'oculus renvoie à la scène du concours des grimaces qui présente au vu de tous la physionomie grotesque du héros, et cette grimace, inimaginable d'après le texte, le fait proclamer roi des fous : la caricature et la laideur, essentielles au programme hugolien, composent l'emblème provocant qui reste l'exemple par excellence de cette image de rêve flottante et déchiquetée sur ses bords qu'est la vignette.

Des livraisons aux livres d'étrennes

La seconde forme du livre illustré romantique, à vignettes multiples, apparaît progressivement : d'abord, l'Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier publié chez Delangle en 1830, ce livre précurseur, bourré d'allusions et d'ironie, à la façon de Sterne, est illustré de 50 vignettes par Tony Johannot ; puis Deburau, Histoire du théâtre à quatre sous de Jules Janin en 1832, dont l'édition originale in-8o fut tirée par Gosselin à 25 exemplaires : les huit vignettes de Chenavard, Bouquet et Johannot y distinguent, parmi les espaces d'illustration, le frontispice, la lettrine ou la simple vignette dans le texte. Enfin, c'est le Gil Blas illustré par Gigoux (Paulin, 1835) qui consacre l'omniprésence de la vignette, dans une collection de « classiques illustrés » où prend place le Molière de Johannot l'année suivante. Désormais, quelques éditeurs « de pittoresques », Paulin, Curmer, Hetzel, Perrotin, Fournier, se spécialisent dans la fabrication de ces livres « de luxe à bon marché », vendus par livraisons, des mois durant, pour s'achever au moment des étrennes. La vente par livraisons illustrées hebdomadaires ou bi-hebdomadaires a plusieurs avantages : fidéliser l'acheteur d'un livre morcelé comme un feuilleton, encourager le lecteur de cabinet de lecture à devenir un acquéreur, en lui permettant d'échelonner son achat, et enfin offrir au public un produit tout à fait neuf qui se distingue de la contrefaçon belge si menaçante pour la librairie française. L'éditeur fait alors appel à toutes les ressources de la réclame, du puff , à laquelle la vignette est associée : prospectus, catalogues illustrés, affiches à vignettes et affiches lithographiées, d'abord en noir puis en couleurs avec Rouchon, se trouvent diffusés dans les librairies, tandis que L'Illustration publie des annonces de librairie illustrées sur des pages entières et que d'autres journaux les insèrent en dernière page à côté d'autres publicités. Les affiches, « poème pour les yeux » d'après Balzac, sont illustrées, mais le texte s'y fait image, par des jeux typographiques qu'avait expérimentés Nodier dans Le Roi de Bohême , et qui annoncent la poésie concrète. Presque immanquablement, l'image qu'offrent ces nouveaux supports, comme les plats dorés de la reliure, reproduit l'emblème du titre que sont le frontispice et la vignette de titre.

Chaque livraison comporte quelques vignettes dans le texte et une planche hors-texte, qui peut être gravée sur bois ou sur acier : l'image ponctue le déroulement du texte dont elle scande les temps forts en illustrant les principaux épisodes. La vignette soutient l'attention du lecteur, réveille son intérêt, montre le personnage qui parle, les jeux de scène ; avec la rapidité du coup d'œil, elle saisit un geste furtif, capte au vol un détail qui meuble la vision imaginaire du « spectateur dans un fauteuil ». Tel un signet, le hors-texte marque dans le livre le passage d'anthologie, le morceau choisi. Ou bien il se détache du déroulement du texte, auquel il fait contrepoint, cultivant un effet de « macédoine » ou de pot-pourri propre au keepsake , ce livre-bibelot donné en cadeau d'étrennes à la « femme du monde ». L'image d'illustration et ses genres : types, sites et scènes

Une hiérarchie des espaces dévolus à l'illustration s'instaure, en corrélation avec la hiérarchie des genres illustratifs, elle-même transposée de celle des genres picturaux : par exemple, dans l'encyclopédie morale que sont Les Français peints par eux-mêmes , où chaque livraison est consacrée à un type social ou professionnel, l'éditeur Curmer met au point une solution stable de mise en pages ; le « hors-texte » est dévolu au « type », le bandeau (dit « tête de page ») à la « scène », la « lettre » à la nature morte. En effet, les genres illustratifs sont alors connus de tous : le « type », qui correspond au « portrait de genre » de l'histoire de l'art, offre un portrait en pied de personnage en costume régional ou national, de héros de roman, de type social, de personnage historique. Le « site » est une vue pittoresque d'un paysage, d'un monument, d'une ville. La « scène », qui renvoie soit à la peinture d'histoire, soit à la peinture de genre, et particulièrement au genre anecdotique qu'avait cultivé la peinture Troubadour, représente un groupe de personnages réunis par une action.

Chacune de ces grandes catégories correspond à l'un des domaines majeurs de l'illustration romantique, mais s'est perpétuée presque jusqu'à nos jours dans la conception des illustrations de la presse et du livre, voire des images tout court, par exemple dans la carte postale ou l'art de l'affiche : en 1889, l'affiche de librairie de Chéret pour La Terre présente sur les colonnes Morris le type monumental du père Fouan, comme le petit livre de colportage publié chez Pellerin à Épinal vers 1875 comporte sur son plat inférieur un type. Ces différents domaines sont la littérature « physiologique », avec Les Français peints par eux-mêmes (1841-1842), Le Diable à Paris (1845-1846), Les Scènes de la vie privée et publique des animaux (1841-1842) pour le type ; le voyage pittoresque (illustré de lithographies) pour le site ; l'œuvre littéraire, surtout le roman, pour la scène. Les artistes se spécialisent parfois dans une catégorie d'images, par exemple Bertall ou Gavarni dans le type, Français ou Daubigny dans le site... Certains d'entre eux façonnent eux-mêmes des types, comme le Robert Macaire de Daumier, le Joseph Prudhomme de Monnier, le Thomas Vireloque de Gavarni, passé maître aussi dans l'évocation de la lorette et du « débardeur » (la lorette en pantalons des bals masqués), et ces types se prennent à jouer un rôle dans des scènes : les catégories qui semblaient si distinctes ne cessent de se combiner et de se chevaucher, d'autant plus que l'espace de la vignette, gravée sur bois ou lithographiée, se prête à de telles superpositions.

La mémoire des images

L'éclectisme qui caractérise l'art à partir du second Empire se retrouve aussi dans l'illustration. Dans les livres illustrés de grande circulation, comme dans l'affiche pour l'édition populaire, s'entrecroisent des formes d'image héritées de la tradition romantique et d'autres issues des traditions populaires : la vignette du livret de colportage d'Épinal est tout à la fois un « type » et une variante iconographique du juif errant. De même, la haute affiche de Chéret pour La Terre de Zola semble un fragment découpé dans l'extrémité droite d'une image populaire du « degré des âges » ; la courbe déclinante des lettres y rappelle la dernière marche de l'escalier de la vie, qui correspond à l'âge de vieillesse personnifié par le père Fouan. À l'arrière-plan, la charrue est l'emblème, ou l'enseigne, de la vie agricole. Simple et forte, cette affiche apporte néanmoins une lecture du roman, centrée sur la décadence des petites exploitations traditionnelles plutôt que sur l'avènement de la culture industrielle qu'évoque aussi Zola. L'illustration populaire donne ici un exemple du fonctionnement « intericonique », puis « intertextuel » de tout l'art de l'illustration, que favorise le système du réemploi : par un jeu de variations, chaque image renvoie à d'autres images ou à des formules iconographiques, qui portent en elles des pans de texte. Cette mémoire des images se retrouve dans d'autres secteurs du livre illustré, tel celui de la littérature enfantine : ainsi, tout frontispice de conte y est une variante sur le frontispice (parfois attribué à un dessin de Perrault lui-même) de l'édition originale des Histoires ou Contes du temps passé en 1697 ; Doré lui-même n'y manque pas, dans une planche où il combine le thème de la vieille conteuse, remaniée pour devenir l'aïeule entourée par sa descendance, avec un motif original : dans le tableau accroché au mur du fond, il représente la scène archétype du Petit Poucet retirant les bottes de l'ogre, qui lui permet d'introduire dans ce frontispice l'illustration-tableau, ou encore la peinture à sujet littéraire, transposée pour le nouvel espace de la « nursery ». La multiplication des images et le réemploi

Dans la seconde moitié du siècle, l'illustration prolifère. Son essor est d'abord lié à celui de la presse : les journaux illustrés emploient des équipes de dessinateurs et de graveurs attelés à la tâche jour et nuit ; la « petite presse » (journaux de mode, de voyage, journaux satiriques) se développe. Si, dans le livre illustré, les images se multiplient aussi, c'est, d'une part, en raison de l'influence du journal illustré, puisque le métier d'illustrateur se prête indifféremment à l'un ou l'autre support, et que les mêmes hommes travaillent pour un journal comme Le Tour du monde ou pour l'illustration des Voyages extraordinaires de Jules Verne. Mais, aussi, c'est par l'effet d'un mécanisme interne à son histoire, celui du « réemploi », qui diminue grandement les coûts du livre illustré pour l'éditeur : en effet, l'investissement que représente la gravure d'un dessin est amorti par la première édition, où les planches figurent en premier tirage. Par la suite ne subsistent plus que les coûts de tirage et d'impression, et les gravures sont tirées à nouveau soit pour des rééditions, soit pour de nouveaux titres. Au gré de l'éditeur, elles demeurent alors des illustrations spécifiques au texte qui en est la souche, ou deviennent des images détachées qui naviguent d'un texte à l'autre. Les faillites d'éditeurs ou d'imprimeurs ont suscité des cessions de bois gravés à de nouveaux éditeurs qui exploitaient à leur gré les fonds acquis ; ainsi, la faillite de Delangle a permis le réemploi des bois du Roi de Bohême dans L'Artiste , dès 1832.

Le recours au « cliché », dont l'emploi se généralise dans les années 1830, puis, dans les années 1860, au « gillotage », première tentative de procédé photomécanique appliqué à l'illustration, favorise aussi le réemploi, car, conçu pour prolonger la durée de vie du bois gravé, qui sert de matrice à un moulage de métal, le cliché transforme le bois lui-même en un multiple ; grâce à ce procédé, les ateliers de graveurs fournissent des catalogues de vignettes à prix marqués, analogues aux catalogues des fondeurs de caractères. Ce n'est plus alors le dessinateur qui illustre un texte donné, mais l'éditeur qui se charge de combiner le texte et l'image à sa guise et qui détient l'initiative de la maquette. Aubert fut un pionnier très avisé de ces pratiques du réemploi dès les années 1840.

3. Les grands domaines de l'édition illustrée

Alors que l'époque romantique a forgé le langage de l'illustration, qui pouvait se prêter à toute la gamme de l'édition illustrée, mise à la mode par les éditeurs de pittoresques, la seconde moitié du siècle voit l'illustration se spécialiser sur ses terrains de prédilection, la presse, le livre populaire, le livre pour enfants.

La presse illustrée

Si, dans le livre, les genres illustratifs qui se sont dégagés dans les années 1840 se confirment, le journal suscite le croquis de presse et l'histoire en images. Vignette satirique légendée en une ligne, dans laquelle se spécialisent Cham, Nadar ou Hadol, le croquis de presse décoche d'un trait sa flèche et fait sourire le lecteur ; il réussit au mieux lorsqu'il est présenté en série pour la « revue » figurée de la semaine ou du mois. Dans cette mise en pages, où le dessin de presse apparaît en bandes qu'il faut lire de gauche à droite, il se rapproche de l'histoire en images, l'autre formule à succès de l'illustration de presse : celle-ci, inventée dans les années 1820 par le maître de pensionnat genevois Töpffer, a été popularisée en France dès la fondation de L'Illustration par l'entremise de l'un des directeurs du journal, son cousin Dubochet ; ce dernier faisait redessiner par Cham, en vue de la gravure sur bois, les croquis à la plume et à l'encre de Chine autographiés de Töpffer. L'éditeur Aubert lance bientôt sa collection d'albums Jabot, où les héros de Töpffer côtoient ceux du collégien Doré dont les premières œuvres sont des histoires en images. Et le genre fera fortune dans la presse illustrée de la seconde moitié du siècle, avec Willette pour Le Chat noir , par exemple, ou Christophe dans Le Petit Français illustré .

L'illustration populaire

L'édition illustrée populaire dite « à quatre sous », apparue en janvier 1848 chez l'éditeur Havard, connaît son apogée de 1851 à 1855, avant de disparaître dans les années 1860 à la fin de l'Empire autoritaire ; elle va exploiter ces nouvelles habitudes éditoriales associées à la pratique du réemploi ; en effet, au moment où le gouvernement renforce le contrôle du colportage (janvier 1852), où l'extension du réseau des chemins de fer suscite de nouveaux modes de lecture populaire, ont lieu de nombreuses cessions de fonds de gravures ou de nouvelles associations d'éditeurs. Elles sont dues à la crise de 1846 qui avait mis les éditeurs de pittoresques en difficulté, puis à l'exil politique qui frappe au sein de la profession les républicains comme Hetzel après le coup d'État du 2 décembre 1851. La plupart des nombreuses collections répertoriées parClaude Witkowski comportent des illustrations de réemploi, bien que certaines fassent appel à des illustrateurs de métier, comme Worms, Foulquier ou Beaucé ; la collection des Chefs-d'œuvre de l'illustration reprend les grands illustrés romantiques.

Ces éditions populaires, elles aussi publiées par livraisons, « à quatre sous », se rapprochent encore de la presse qui avait déjà suscité l'éclosion des livraisons romantiques à 50 centimes : la page y est subdivisée en colonnes, espace visuel familier au lecteur de journaux, comme l'est aussi le rectangle oblong dévolu au bloc typographique, au bas de la double page centrale illustrée de chaque livraison ; cet emplacement au « rez-de-chaussée » de la page évoque irrésistiblement le feuilleton de presse – tout le reste de la surface, les deux tiers de la page, étant dévolu aux deux grandes vignettes qui ornent la double page. Enfin, la « une » de chaque livraison, avec son bandeau d'en-tête toujours identique, ressemble à celle du journal. Seul le format change, car l'édition populaire préfère l'in-quarto à l'in-folio de la presse.

Dans cette mise en pages régulière, la présence de l'image rythme la lecture à des emplacements attendus, qui ne correspondent pas au point d'insertion du passage illustré, comme dans l'illustration romantique juxtalinéaire. La légende sert de renvoi, en spécifiant souvent à quelle page il faut aller lire le passage d'ancrage ; les effets d'anticipation ou de retard sont donc dictés par la mise en pages. La double page permet aux vignettes de décomposer d'une manière précinématographique un mouvement de scène, ou le déroulement d'un épisode. Foulquier évoque ainsi en deux vignettes le passage brusque de l'entente à la dispute amoureuse dans Marion Delorme . Mais il arrive aussi que l'image, annonçant la livraison suivante, use d'un effet de « suspense » inhérent au feuilleton et analogue à la formule « à suivre au prochain numéro ». La coupure du feuilleton avait été figurée par Grandville en 1846 au moyen d'une vignette horrifique, prémonitoire de ce type d'images ; c'est une tête coupée que brandit aux yeux du lecteur une main surgie on ne sait d'où... – l'un des multiples avatars de la célèbre vignette à la grimace de Quasimodo par Johannot (chapitre « Paturot feuilletoniste » du Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale par Louis Reybaud).

La formule du roman-journal, qui associe dans chaque livraison deux ou trois romans-feuilletons, apparaît en 1855 et se perpétue sous la IIIe République, avec, par exemple les Veillées des chaumières . À une présentation identique à celle des éditions à quatre sous s'ajoute l'image de la première page, qui ressemble à celle de la presse des faits divers, et qui est conçue pour séduire le public populaire ; elle renoue autant avec « l'accroche » paroxystique ou sentimentale de la vignette-frontispice qu'avec les scènes violentes gravées sur bois des « canards populaires » qui, vendus à la criée, perpétuent au XIXe siècle la tradition des « occasionnels » représentant l'une des premières formes de la presse. Il en sera de même pour les couvertures illustrées des romans populaires, à la typographie dense et dénuée d'illustrations intérieures, qui alimentent les lectures populaires de la belle Époque. Comme les feuilletons, qui ne sont pas illustrés non plus, ces romans sont lancés par de grandes affiches murales en couleurs, dues aux ateliers Chéret ou Lévy.

L'illustration pour l'enfant

« What is the use of a book without pictures ? », demande Alice qui s'endort sur un livre de texte avant d'entrer dans le plus extraordinaire des livres illustrés pour enfants... Comme le constate Alice, l'image est consubstantielle au livre pour enfants. L'Orbis sensualium Pictus (1658) du Tchèque Comenius, méthode d'apprentissage plurilingue de la lecture, prototype de l'abécédaire à figures, est considéré comme le premier livre d'images pour enfants : même s'il fut devancé par d'autres ouvrages, aucun n'a joué ce rôle fondateur et n'a inspiré autant de rééditions ou de variantes dans le monde occidental jusqu'au XIXe siècle.

Le goût des enfants pour les images, l'importance du monde des sens dans l'éveil d'une jeune intelligence ont été reconnus par les pédagogues, alors que les livres de l'enfance n'étaient encore que des manuels, ou des titres adoptés dans le fonds de la littérature générale, mais bien souvent illustrés (romans de chevalerie passés en Bibliothèque bleue, contes de Perrault, fables d'Ésope ou de La Fontaine). Comme dans la tradition populaire des vendeurs de complaintes et des colporteurs de brochures, qui déroulent une grande toile peinte pour servir de fond à leur boniment, l'image a été recommandée, dans la tradition savante de la pédagogie préceptorale, par les tenants de l'instruction amusante, de Fénelon à Rollin, de Locke à Mme de Genlis. C'est ainsi que Fénelon avait écrit dans L'Éducation des filles que les enfants peuvent « apprendre à lire en se jouant » et qu'« il faut leur donner un livre bien relié, doré même sur la tranche, avec de belles images et des caractères bien formés ».

Fénelon fut aussi l'auteur du premier roman pour enfants, le Télémaque (1699) écrit pour le Dauphin, livre qui lui attira la disgrâce de Louis XIV, mais qui fut ensuite édité avec de belles planches dans la collection des classiques « ad usum Delphini » (édition Didot de 1785, par exemple). Malgré ce livre précurseur, l'émergence de la littérature enfantine, de livres écrits spécialement pour « instruire (les enfants) en (les) amusant », est plus tardive, inséparable du nouvel intérêt pour l'enfance que manifeste la philosophie des Lumières, et que formule au mieux l'Émile de Jean-Jacques Rousseau (1762). Quelques « auteurs pionniers », Mme Leprince de Beaumont (Magasin des enfants , 1758), Mme d'Épinay (Les Conversations d'Émilie , 1774), Mme de Genlis (Théâtre à l'usage des jeunes personnes , 1779, et Les Veillées du château , 1784), Berquin (L'Ami des enfans , 1782-1783) cherchent à combler le manque que Rousseau a constaté dans le domaine de la littérature enfantine où il ne retient qu'un roman à adapter, le Robinson de Daniel Defoe. Si la France a des auteurs pour enfants dès les années 1760, c'est en Angleterre que sont apparus les premiers éditeurs spécialisés qui, à la suite de Newbery, inventent dès les années 1740 un objet-livre pour l'enfant, au format miniature et aux nombreuses illustrations. Ce n'est que dans les années 1810, et sous la Restauration, que s'amorce le mouvement des libraires d'éducation (Eymery, Blanchard) qui font appel à des dessinateurs et à des graveurs souvent anonymes pour illustrer des textes dérivés de la littérature des auteurs pionniers.

À partir de 1830, et plus encore de 1835, lorsque, d'une part, l'interdiction de la caricature politique contraint illustrateurs et éditeurs à se reconvertir, et que, d'autre part, la loi Guizot de 1833 sur l'enseignement primaire impose à la littérature enfantine de se démarquer du manuel, notamment par le recours à l'image, le marché du livre illustré pour enfants, complété par celui de la presse enfantine, s'intensifie. Par la collection, fondée en 1843, du Nouveau Magasin des enfants, l'éditeur Hetzel réagit contre la médiocrité d'ouvrages de prix ou d'étrennes, livres-bibelots, jolis cartonnages polychromes, qui, pour le contenu, restent des sous-produits ; certains titres de cette collection, comme Tom Pouce de Stahl (pseudonyme de Hetzel) illustré par Bertall, ou Gribouille , de George Sand, illustré par son fils Maurice Sand, sont toujours disponibles avec leurs illustrations d'origine pour les enfants d'aujourd'hui !

Âge d'or du livre illustré pour enfants, la seconde moitié du XIXe siècle est dominée par quelques grandes maisons d'édition parisiennes (Hetzel, Hachette, Delagrave) qui éclipsent la production provinciale (Mame à Tours, Barbou, Ardant à Limoges, Lefort à Lille). Plus encore qu'Hachette avec Le Journal de la jeunesse ou Delagrave avec le Saint Nicolas , tout le fonds de la librairie Hetzel a pour plaque tournante un journal, le Magasin d'éducation et de récréation , fondé en 1864, qui, dirigé par Hetzel avec Jean Macé, futur fondateur de la Ligue française de l'enseignement, met en application les principes d'Ernest Legouvé sur la lecture en famille. Tous les âges de l'enfance y trouvent pâture : ainsi, en 1864, les tout-petits lisent des textes de Stahl, Petites Sœurs et petites mamans illustré par le Danois Froelich ou les Petites Tragédies enfantines illustrées par Froment. Tous deux adoptent le champ de vision de leurs petits modèles pour concevoir une image à hauteur d'enfant ; les adolescents découvrent Jules Verne avec Les Anglais au pôle Nord , illustré, entre autres, par Alphonse de Neuville, comme une féerie naturelle offerte par les phénomènes météorologiques. Des Albums Stahl aux Voyages extraordinaires de Jules Verne, l'abondance et la conception des illustrations se modulent sur l'âge de l'enfant destinataire ; pour les Jules Verne, illustrés par Bayard, Riou, Férat, Neuville, comme pour les ouvrages de la comtesse de Ségur illustrés par Castelli ou Bertall, dans la Bibliothèque rose illustrée de Hachette, la griffe de la collection importe plus que la personnalité propre de l'illustrateur. Ce trait persiste en France jusqu'à l'apparition tardive de dessinateurs spécialisés, dont les albums sont finement chromotypographiés, comme Boutet de Monvel, Job ou Benjamin Rabier, alors que l'Angleterre et l'Allemagne ont connu plus tôt cette catégorie d'artistes parfois eux-mêmes auteurs (Lear, Hoffmann, Cruikshank, Tenniel, Caldecott, Crane, Greenaway, Busch). Sous le second Empire, les centres d'imagerie de l'est de la France (Metz, Pont-à-Mousson ou Épinal) se reconvertissent. Délaissant l'imagerie populaire, soumise au même contrôle que l'édition de colportage, ils se tournent vers l'imagerie enfantine et publient, à l'imitation des toy books de l'éditeur Evans à Londres, de petits albums en lithographie coloriée, tandis que des éditeurs-imagiers parisiens se mettent à la chromolithographie vers 1865 ; ces petits albums, tels les Albums Trim , dans une veine satirique, chez Hachette, sont vendus dans les gares et soumis au cachet de colportage.

Enfin, l'histoire en images, fondée par Töpffer, est pratiquée par Doré, puis par Cham, Busch, Rabier, et surtout Christophe : le récit y est segmenté en une succession de courtes phrases associées à des images qu'il faut « lire » de gauche à droite et de haut en bas suivant le sens de la lecture alphabétique qui s'impose aussi dans l'imagerie populaire à compartiments. L'histoire en images annonce la bande dessinée, puisqu'il n'y manque que la « bulle », transcription interne à l'image du discours des personnages, qui surgit aux États-Unis au tournant du XXe siècle.

Dans la première moitié du XIXe siècle sont mises au point des procédures qui font de l'illustration un langage spécifique, avec le nouveau champ iconique de la vignette, les genres que sont le type, le site ou la scène, liés à des espaces spécifiques de mise en pages et à des techniques graphiques. Le livre illustré s'avère solidaire des imprimés du lancement, comme l'affiche de librairie ou le prospectus, et des « journaux à images », du Magasin pittoresque (1833) à L'Illustration (1843), sans oublier L'Artiste (1831), La Caricature (1830) et Le Charivari (1832), le Journal des enfants (1833). L'idéal romantique de la fraternité des arts fait de l'artiste illustrateur, par lequel s'entendent le texte et l'image ou comme l'on dit alors « la plume » et « le crayon », une figure exemplaire. Ainsi, en 1843, le cul-de-lampe final du Voyage où il vous plaira représente cette rencontre entre l'écrivain et l'artiste de manière emblématique, un crayon (emmanché d'une plume) posé sur une plume d'oie ; l'illustrateur a le dessus, comme le reconnaît l'auteur, Stahl-Hetzel, dans l'épilogue adressé « au lecteur et à Tony Johannot ». «... Nous ne regretterons jamais, mon cher Tony, d'avoir fait avec vous ce chemin, sur lequel vous avez semé, si à propos pour l'abréger, toutes ces charmantes vignettes auxquelles nous avons dû, sans aucun doute, d'avoir jusqu'au bout votre aimable compagnie, – cher lecteur. » Dans la seconde moitié du siècle, une meilleure analyse des publics affine davantage les formules éditoriales : l'exemple de l'illustration enfantine, avec l'album, l'imagerie d'Épinal, le livre de prix et le livre d'étrennes, le prouve aussi bien que celui de l'illustration populaire ou de l'illustration de presse. La banalisation des images d'illustration suscite alors une réaction du public lettré qui en revient au texte seul, et refuse ce procédé « populaire » – que prolongent aujourd'hui la bande dessinée ou le cinéma (dans la bande dessinée de Gotlib et Alexis, Cinemastock II [Dargaud, 1976], la couverture illustrée pour Notre-Dame de Paris semble une lointaine réplique à la vignette à la grimace de l'édition originale). L'illustrateur, cantonné dans un métier tributaire de la littérature et de l'industrie, est méprisé par l'artiste, qui n'admet que la création parallèle du livre de peintre ; ce nouvel art du livre, aux origines duquel se trouve le Faust de Goethe illustré par Delacroix en 1828, est annoncé par le recueil Sonnets et eaux-fortes (1869) réuni par Burty chez l'éditeur parnassien Lemerre, et fondé par Le Corbeau de Poe doublement « traduit » par Manet et par Mallarmé (Lesclide, 1875). Au même moment, l'illustrateur est menacé par les caricaturistes de presse et les photographes, qui empiètent sur son terrain quotidien et s'imposent tout à fait par la mise au point de la photogravure dans les années 1880. Le métier ne survivra que dans des territoires très spécialisés, comme celui du livre pour enfants, dont l'image est une composante nécessaire.



RELIURE


À l'époque du magazine et du livre de poche, abandonnés sitôt que lus, il est difficile de réaliser à quel point, pendant des siècles, le besoin s'est fait sentir de protéger le manuscrit d'abord, plus tard la chose imprimée. C'est l'objet de la reliure (du latin ligare, religare , « attacher »). Elle est une technique et s'affirme comme un art si l'extérieur du livre est décoré. Dans ce cas même, l'art est inséparable de la technique : la beauté d'une reliure ne tient pas seulement au sens artistique dont témoigne le décor, mais à la qualité des matières employées, à l'habileté dont font preuve les artisans, les uns exécutant les opérations du corps d'ouvrage, les autres le décor. Faire l'histoire de la reliure devrait conduire à étudier parallèlement l'évolution de la technique, qui a varié avec la diffusion du livre manuscrit ou imprimé, et l'évolution du décor en liaison avec celle des arts décoratifs en général. Il convient aussi de se demander comment on a relié, d'un côté, les livres d'étude, de l'autre, les ouvrages de luxe, et de rechercher quelle a pu être l'action des mécènes que furent souvent les grands bibliophiles et à quels livres sont allées leurs préférences.

La technique

De nos jours encore, pour toute reliure soignée, les premières opérations demeurent affaire d'artisan. Il s'agit, prenant un livre broché, de collationner le bon ordre des cahiers, puis, après avoir laissé un certain temps le volume sous presse, de coudre entre eux les cahiers. L'ouvrier pratique la couture sur nerfs , formant des saillies au dos du volume, ou le grécage , les fils venant se loger dans des entailles faites à la pliure des cahiers (reliure à dos long). Des cartons rectangulaires forment les plats de la reliure et sont fixés à l'extrémité des nerfs. L'intérieur des plats est protégé par des contre-gardes et des gardes, tandis que la tranche du volume est souvent teinte ou dorée. Le relieur recouvre ensuite de cuir ou de toile la totalité des plats (reliure pleine), ou seulement le dos et les coins (demi-reliure), ou encore le bord des plats (reliure à bandes). Les peaux les plus solides et les plus belles sont le maroquin et le chagrin (peau de chèvre). Le veau est lisse et se prête à de beaux effets, mais il est fragile. Le parchemin a tendance à devenir cassant. La basane (peau de mouton) est moins solide que beaucoup de toiles communément employées de nos jours. La couvrure terminée, un ouvrier spécialisé, le doreur, exécute le décor, qui peut être de son invention, ou encore dû à un maître. Il utilise des fers à dorer (fleurons, filets) et des roulettes, chauffés au four et poussés directement sur le cuir (reliure à froid), ou, plus souvent, pousse ces fers sur des feuilles d'or posées sur le cuir (reliure dorée) ; souvent aussi, il sertit les plats de fines lamelles de peaux (reliure mosaïquée).

Depuis le XIXe siècle, les opérations de la reliure industrielle ont quelque peu évolué. Aujourd'hui, les cahiers, pliés et empilés mécaniquement, sont munis au dos de mousseline. Celle-ci est encollée à l'intérieur des plats d'un cartonnage, préalablement décoré.

Les premières reliures

L'Orient, l'Antiquité et le Bas-Empire

De tout temps, les hommes ont éprouvé le besoin de protéger textes et documents. À côté des tablettes de terre cuite, épaisses et indestructibles, les Assyriens et les Babyloniens en utilisaient parfois de si minces qu'ils les plaçaient dans un étui, lui-même de terre cuite (British Museum). De bonne heure aussi, on sut réunir par des anneaux ou par des fils les tablettes de bois ou d'ivoire, ce que faisaient les Hittites, dès le VIIe siècle avant J.-C., en liant extérieurement ces tablettes par une lanière de cuir. En Égypte, plus tard en Grèce ou à Rome, il suffisait, pour protéger le livre de papyrus en forme de rouleau (volumen ), de le glisser dans un sac cylindrique. Mais d'autres problèmes se sont posés dans l'Inde et en Extrême-Orient. Dans l'Inde, les feuillets du livre, longs et étroits, faits le plus souvent d'écorce de bouleau, sont percés d'un trou au centre d'un côté, ou de deux trous assez écartés l'un de l'autre réunis au moyen d'un fil, puis enserrés entre des plaques de bois odoriférant, qui écarte les insectes, et dont les faces sont souvent sculptées, dorées, argentées ou laquées de rouge. La Chine a aussi connu ces liasses de feuillets (pothi ), ainsi que le livre en forme de rouleau, sur soie. Mais, dès le IIe siècle de notre ère, apparaît le livre écrit sur papier, soit en forme de rouleau, soit constitué de feuilles collées par leur tranche latérale, de façon à s'ouvrir en accordéon, les feuillets des deux extrémités étant collés à des plaques de bois ou de carton recouvert de brocart.

Mais on ne peut parler de reliure qu'à partir du moment où le livre prend la forme du codex composé de cahiers (Ier s. av. J.-C.). Le plus ancien qui soit conservé (Ier s. apr. J.-C.) a été découvert à Herculanum ; les feuillets de bois qui le composent étaient réunis par deux fils, l'un en haut, l'autre en bas. Très tôt, on se préoccupe d'enrichir ces reliures. Martial envoyait à ses amis des livres-bibelots aux plats d'ivoire, et les textes officiels étaient parfois placés entre des plaques d'ivoire semblables aux diptyques consulaires ou aux ivoires impériaux à cinq compartiments (Ivoire Barberini , IVe s., musée du Louvre, Paris). À Byzance et peut-être aussi à Rome, les registres officiels étaient couverts de cuir de différentes couleurs et pouvaient s'orner du portrait de l'empereur, comme on le voit par les manuscrits de la Notitia dignitatum. Les chrétiens enrichissent aussi leurs livres ; saint Jérôme s'est élevé contre le luxe des reliures d'orfèvrerie, tandis que Cassiodore établissait pour les copistes de Vivarium, en Italie du Sud, un recueil de décors de reliures. En Égypte, dès le Ier ou le IIe siècle, les communautés coptes recouvraient les manuscrits de plats faits tantôt de papyrus amalgamés, tantôt de plaques ornées de motifs géométriques sculptés, peints à l'or liquide, incisés, ou frappés aux petits fers, parfois même de l'image peinte des Apôtres. Les reliures des manuscrits venus de Rome et d'Orient ont pu servir d'exemple dans toute l'Europe.

Le Moyen Âge

Les ouvrages les plus précieux, et d'abord les livres d'église, sont recouverts d'ivoire, d'orfèvrerie et plus tard d'étoffe. Il peut s'agir d'ivoires antiques réutilisés (couvercle de coffret représentant une joueuse de cithare, IVe s., sur le Tropaire d'Autun , XIe s., bibliothèque de l'Arsenal, Paris ; diptyque consulaire de Probianus, Ve s., sur La Vie de saint Luidger , XIe s., Berlin) ou d'ivoires chrétiens (diptyque de saint Pierre et de saint Paul, Ve s., sur manuscrit du XIIe s., bibliothèque de Rouen ; plaque à cinq compartiments représentant le Christ et des scènes de l'Évangile, VIe s., sur l'Évangéliaire de Saint-Lupicin , IXe s., Bibl. nat., Paris). Exceptionnelle est la reliure d'orfèvrerie (début du VIIe s.) de l'Évangéliaire de Théodolinde, reine des Lombards (Monza). Mais, avec la renaissance carolingienne, il s'agit de créations toutes nouvelles. En témoignent, entre autres, les plaques d'ivoire entourées de pierreries exécutées à Metz sur plusieurs évangéliaires (IXe-Xe s., Bibl. nat.) et la reliure d'orfèvrerie du Codex Aureus de Saint-Emmeran (fin du IXe s., bibliothèque de Munich). Des ivoires venus de Byzance et de la région de la Meuse sont utilisés aux XIe et XIIe siècles. Dès le XIIIe siècle, les émaux de Limoges se répandent en Europe. Au XIVe siècle, les orfèvres exécutent de véritables chefs-d'œuvre (Évangéliaire de la Sainte-Chapelle , Bibl. nat.). Très nombreuses et très brillantes aussi sont, dès lors, les reliures d'étoffe. Les tissus sassanides aux fils d'or et d'argent (bibliothèque de Reims), les velours de différentes couleurs, ornés de broderies ou d'appliques de métal, ont recouvert bien des livres d'église et quantité d'ouvrages profanes. Des reliures de ce genre se trouvaient dans la bibliothèque de Jean de Berry et dans celle de Louis XII, au château de Blois. Mais beaucoup ont disparu ou sont usées. Sur le continent, leur mode tend à disparaître au XVIe siècle, mais elle subsiste en Angleterre jusqu'au XVIIIe siècle.

Sur les livres de travail, on utilise des reliures de cuir. La plus ancienne que l'on connaisse (Évangile de saint Cuthbert , VIIe s., Stonyhurst College) comporte un décor moulé sur cordelettes qui trahit une influence copte. On a cru déceler les mêmes influences sur deux manuscrits ayant appartenu à saint Boniface († 755), mais cette fois le cuir est découpé et orné aux petits fers (Ragindrudis Codex , avant 755, dôme de Fulda). C'est d'abord grâce à certaines particularités de la couture sur nerfs que l'on peut dater les reliures carolingiennes. Sur d'épais ais de bois, une peau grossière, souvent teinte à l'origine, mais aujourd'hui grisâtre, reste généralement sans décor. Parfois, le relieur pousse à froid des filets dessinant une croix ou des diagonales, accompagnés de palmettes et d'entrelacs. Après le démembrement de l'Empire carolingien et la décadence artistique qu'il entraîne, on ne connaît guère de reliures de cuir qui soient ornées. Mais une nouvelle renaissance se produit au XIIe siècle, dont les écoles parisiennes sont le centre. C'est sans doute à Paris, où travaillent déjà copistes et libraires laïcs, qu'ont été exécutées la plupart de ces reliures, d'une facture beaucoup plus fine, souvent couvertes de veau brun ou d'une basane colorée, que l'on a cru d'abord d'origine anglaise, voulant les rattacher à des abbayes cisterciennes, mais dont les prototypes pourraient être les reliures exécutées pour le prince Henri (vers 1121-1175), fils du roi Louis VI, lorsqu'il étudiait aux écoles de Paris. Elles sont très différentes des reliures carolingiennes ; leur décor est obtenu au moyen de fers de gros module inspirés de la stylistique romane (figures de saints, de prophètes, monstres fantastiques) et musulmane (entrelacs de tresses), disposés en registres rectangulaires et verticaux couvrant tout le plat. En France, à partir du XIIIe siècle, le décor est réalisé au moyen de fers carrés de plus petit module, et prévaut jusqu'au XVe siècle. Au XIVe siècle, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Angleterre, des filets se recoupent souvent en diagonales, délimitant des losanges à l'intérieur desquels sont frappés des petits fers. En Espagne, sur les reliures de style mudéjar, les fers sont à décor de tresse. En Allemagne, on incise souvent à la pointe un grand motif, par exemple un animal héraldique, parfois une scène à personnages, recouvrant tout le plat.

Après l'invention de l'imprimerie

Vers 1460-1470, l'imprimerie s'est répandue dans les grandes villes d'Europe. Au manuscrit se substitue le livre imprimé sur papier, plus maniable et moins coûteux. En même temps, le livre cesse d'être la propriété d'une communauté pour devenir celle d'un individu. Dans les bibliothèques des couvents et des collèges, les livres sont encore pourvus d'ais de bois, aux coins munis de cornières de métal et enchaînés sur les rayons. Mais, de plus en plus, les plats des volumes sont constitués de feuillets de papier amalgamés en carton. Certains ouvrages sont même pourvus de reliures souples. La matière la plus employée reste le veau brun ou fauve. Très tôt pourtant, l'Italie et l'Espagne connaissent le maroquin, et l'Allemagne emploie de préférence la peau de truie blanche. Le matériel change. Les relieurs continuent à disposer les fers suivant le parti traditionnel, mais, de plus en plus, à côté des motifs habituels apparaissent des fers héraldiques, marques de propriété d'un grand amateur ou d'une abbaye. Parfois même, ces fers portent le nom d'un relieur. Surtout, devant le nombre croissant des livres, il faut aller plus vite en besogne. Comme on le faisait aux Pays-Bas, peut-être dès le XIIIe siècle, on utilise des plaques gravées représentant un sujet inspiré de l'Ancien ou du Nouveau Testament, ou bien la marque du libraire, et permettant de couvrir d'un seul coup le plat du volume. Si l'ouvrage est de grand format, on dispose côte à côte deux ou quatre plaques. Passé 1530, les reliures de ce type sont beaucoup moins fréquentes, sauf en Allemagne. À côté des plaques, le relieur emploie aussi un disque fixé au bout d'un manche, la roulette. Étroite, sa tranche sert à pousser les filets ; un peu plus large, elle peut porter des ornements analogues à ceux des petits fers, et parfois le nom d'un libraire. Parfois aussi, et d'abord en Italie, les ouvrages sont revêtus de couvertures imprimées, décorées au moyen de bois gravés.

La Renaissance et la reliure à décor doré

Le monde musulman aimait les reliures dorées ou laquées de vives couleurs. Dès le XVe siècle, en Italie, surtout à Florence et à Bologne, certaines reliures estampées à froid comportaient, en outre, des petits disques colorés à la main. Un tout autre parti prévaut dans les dernières années du siècle, d'une part à Naples, d'autre part à Venise. Les relieurs imitent les exemples venus d'Orient et pratiquent la dorure. Et tandis que le roi de Hongrie, Mathias Corvin, gendre de Ferdinand Ier d'Aragon, fait ainsi relier sa bibliothèque, la mode gagne l'Italie du Nord. Elle est bientôt imitée en France, puis en Angleterre, aux Pays-Bas, en Suisse et en Allemagne. Les fers copient les modèles italiens et, pour alléger le décor, sont souvent striés de petites raies obliques (fers azurés) ; leur disposition même rappelle celle des reliures italiennes. Tandis qu'à l'époque précédente ils remplissaient le plat, ils laissent maintenant apparaître largement le cuir et sont disposés avec la plus grande élégance. Nombre de reliures comportent des entrelacs et un décor de cires aux couleurs variées. À partir de 1540, la reliure française produit une suite incomparable de chefs-d'œuvre exécutés par Étienne Roffet, Claude de Picques et différents ateliers anonymes, pour François Ier, Henri II ou pour de grands amateurs comme Jean Grolier, Thomas Mathieu, le connétable de Montmorency et bien d'autres. C'est aussi en France que certains amateurs anglais, comme Thomas Wotton, font relier leurs livres, mais les exemples parisiens sont bientôt imités dans la plupart des pays d'Europe, notamment en Angleterre par Thomas Berthelet. L'Italie connaît pourtant un renouveau d'originalité avec des reliures portant en leur centre un médaillon ovale (Apollon sur son char ) que l'on a cru longtemps exécutées pour Canevari, mais qui, on le sait aujourd'hui, furent commandées par J.-B. Grimaldi, prince de Monaco. En Allemagne, les princes électeurs de Heidelberg se montrent aussi de grands bibliophiles et l'on doit au relieur Krause quantité de chefs-d'œuvre.

Les guerres de religion auraient marqué en France, le déclin de la reliure d'art si, vers 1560, un autre type de décor n'était apparu : celui de la reliure à la fanfare , entièrement décorée de médaillons et de feuillages. Ces reliures devaient être à leur tour imitées à l'étranger. Aux Pays-Bas notamment, Christophe Plantin se souvient visiblement de ses origines françaises.

Les reliures plus simples comportent elles-mêmes au centre et aux angles un fleuron doré. Les reliures décorées à la plaque font appel à la dorure et celles de Geoffroy Tory restent parmi les plus élégantes. D'autres, dont le dessin s'inspire parfois de grands maîtres, utilisent à la fois la dorure et les cires polychromes.

Le classicisme

Les reliures les plus courantes sont faites de veau brun, et seul le dos en est décoré. Plus luxueuses, elles emploient le maroquin, le plus souvent de couleur rouge, parfois olive. En France, jusqu'au début du règne de Louis XIII, la décoration demeure luxuriante. Signe du classicisme, des types plus sobres apparaissent pourtant. Les reliures à semé , entièrement décorées par la répétition d'un ou de deux fers, connaissent une grande vogue ; beaucoup sont l'œuvre du relieur du roi, Clovis Eve. Un autre style consiste en un motif central et en des écoinçons en quart de cercle (reliures à l'éventail ). Le décor le plus dépouillé comporte un double encadrement rectangulaire de trois filets dorés avec fleurons d'angle et, au centre, les armes du possesseur (reliures à la Du Seuil ). Passé 1635, ces différents types sont toujours de mode, mais les reliures à la Du Seuil s'enrichissent souvent dans les angles de motifs mosaïqués. En outre, le décor, au lieu d'être réalisé au moyen de petits fers plein or, utilise souvent des fers pointillés , notamment un fer représentant une petite tête vue de profil que l'on trouve sur des reliures à compartiments géométriques dont plusieurs sont signées de Florimond Badier. Nombre de ces reliures ont été exécutées pour le roi, pour Mazarin et le chancelier Séguier, et sont parfois abusivement attribuées à Le Gascon. Sous le règne de Louis XIV, à côté des reliures à semé et des reliures à la Du Seuil, apparaissent deux autres types : l'un comprend un encadrement rectangulaire formé d'une large dentelle (dentelle du Louvre ), l'autre est obtenu par la juxtaposition de compartiments quadrilobés poussés aux petits fers. Un peu partout à l'étranger, on imite ces différents types de décor.

En Angleterre pourtant, après la restauration de Charles II (1660), la reliure connaît une véritable originalité grâce aux relieurs Stephen, Thomas Lewis, Henry Evans, Samuel Mearne et bien d'autres. De nouveaux décors s'inspirent de tapis persans ; le plus singulier comporte un grand motif rectangulaire dont le haut et le bas forment un pignon de maison (style cottage ). Certains fers sont des créations anglaises, comme le fer en poignée de tiroir que l'on trouve aussi aux Pays-Bas, mais la plupart imitent les modèles français. L'influence française est particulièrement perceptible aux Pays-Bas, dans les décors au pointillé réalisés à Amsterdam par Albert Magnus.

Le XVIIIe siècle

Comme le XVIe siècle, le XVIIIe siècle est une époque brillante pour les arts graphiques, et, de même que la typographie et l'illustration, la reliure y brille d'un vif éclat. Elle témoigne d'un grand raffinement, et d'abord par le choix des matières employées. À côté du maroquin rouge, les maroquins vert, bleu, citron ont de plus en plus de vogue, et, à côté du veau blond, les veaux écaille, granité, marbré ou raciné. Pour les volumes précieux, les gardes sont souvent faites de tabis rose ou bleu, de papier imprimé d'or et de vives couleurs, ornées de fleurs et de fruits. Les fers sont d'une grande finesse et les reliures mosaïquées se trouvent beaucoup plus souvent qu'à l'époque précédente. En France, on le constate dès le temps de la Régence (1715-1723) sur une série de reliures exécutées pour le Régent lui-même ou des membres de sa famille. Elles s'ornent d'armoiries entourées de feuillages luxuriants et peuvent être attribuées avec certitude à Augustin Du Seuil. D'autres comprennent des compartiments ou des bandes losangées et sont l'œuvre de son cousin Antoine-Michel Padeloup. Les reliures dorées, mais sans mosaïque, sont d'un dessin plus sobre. Les plats, portant souvent au centre des armoiries, sont entourés d'un encadrement rectangulaire de petits fers. Au début du règne de Louis XV, ce décor se diversifie et les petits fers, d'une belle finesse, sont disposés avec une variété infinie dans un encadrement chantourné (reliure à la dentelle ). Parmi les fers employés, un oiseau aux ailes déployées est parfois considéré, bien à tort, comme la signature de Padeloup. Il est pourtant certain que l'on doit à cet artiste nombre de ces dentelles. D'autres sont l'œuvre de Jacques-Antoine Derôme et de Louis Douceur. Preuve aussi de l'amour porté au beau livre, on dore d'un seul coup, à la plaque, les almanachs, dont le décor rappelle celui des dentelles, et les ouvrages de dévotion ornés dans le goût des reliures à compartiments de l'époque précédente, qui continuait lui-même celui des reliures à la fanfare. Nombre de ces plaques peuvent être attribuées à Pierre-Paul Dubuisson. Autrement somptueuses, les reliures mosaïquées de cette époque sont ornées tantôt d'un décor à répétition en forme de pavage comme celles de Padeloup, tantôt de grandes compositions à personnages dans le style des chinoiseries, ou encore d'une fleur remplissant le plat, les unes et les autres œuvres des Monnier.

Sous le règne de Louis XVI, les reliures, notamment celles de Derôme le Jeune, sont ornées de grecques, d'oves, de fers assez maigres, composant des encadrements rectangulaires, et l'anglomanie amène les relieurs français à utiliser le maroquin à grain long. Mais la chute de l'Ancien Régime porte un coup fatal à la reliure ; si quantité de volumes courants sont ornés, de façon toute nouvelle, d'emblèmes révolutionnaires, les reliures de luxe restent fort rares.

Au XVIIIe siècle encore, le style français, et d'abord celui des dentelles Louis XV, prévaut à l'étranger, avec moins d'élégance peut-être en Italie et en Allemagne. En Angleterre, à côté de Walther et de quelques autres qui imitent les modèles français, la plupart des ateliers montrent une fois de plus leur originalité dans des reliures ornées d'une large bordure et d'un losange central dans le style harléien ; des œuvres très typiques sont exécutées en Irlande et en Écosse. Dans la seconde moitié du siècle, l'Anglais Roger Payne crée un style très personnel, et ses reliures au dos décoré de toutes petites fleurs autour d'un ombilic central seront imitées en France au début du siècle suivant. Mais, déjà, le style néo-classique apparaît en Angleterre avec des œuvres que l'on peut attribuer à différents relieurs, comme Baumgarten, venus d'Allemagne et employés par les souverains de la maison de Hanovre.

Le XIXe siècle

En France, le goût de l'antique s'impose sous l'Empire, et le style officiel, érigé en système par Fontaine et Percier, marque les reliures de maroquin souvent vert, œuvres des frères Bozérian, Bradel, Courteval. Les conquêtes napoléoniennes amènent les étrangers, et notamment les Italiens, à imiter ce style, mais l'Espagne fait bientôt preuve d'originalité avec des reliures ornées de filets obliques imitant les plis de rideaux. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, au temps du romantisme, en même temps que s'affirme la mode des charmants cartonnages gaufrés et des reliures d'éditeur, plusieurs types de décors se trouvent concurremment sur les reliures de luxe : encadrements de filets reliés aux angles par des fleurons de style rocaille comme ceux des Simier, père et fils ; plaques à la cathédrale (mode venue d'Angleterre avec celle des keepsakes ) ; encadrements de filets dorés combinés avec des plaques et des écoinçons poussés à froid ou jeux de filets d'une sobriété toute classique comme ceux de Bauzonnet. Cependant, les amateurs collectionnent surtout les livres anciens jetés sur le marché par la Révolution ; avec l'imitation du décor à la fanfare, exécutée par Thouvenin pour Nodier (1829), la reliure entre dans la voie du pastiche. Un excellent doreur d'origine allemande, Trautz, l'y maintiendra jusqu'en 1875. Le pastiche prévaut aussi en Angleterre avec les œuvres de Lewis. Mais, dans les dernières années du XIXe siècle, un renouveau se produit en même temps en Allemagne avec Kersten, en Angleterre avec Cobden-Sanderson, en France avec Marius Michel. Le décor, né du Jugendstil et du modern style, fait souvent appel à la flore. Mais, en France surtout, étant donné le goût des amateurs pour les livres illustrés, il constitue souvent aussi une allusion à l'œuvre littéraire et au style de l'illustration. Bientôt même apparaissent les compositions incisées dans le cuir et peintes.

Les reliures contemporaines

Pour des raisons d'ordre économique, les éditeurs étrangers présentent de plus en plus leurs ouvrages sous des reliures de toile ou des cartonnages, et cette habitude gagne peu à peu la France. C'est au détriment de la reliure artisanale, du moins pour les ouvrages courants. Mais la reliure d'art n'a jamais eu autant d'admirateurs. Les tendances manifestées à la fin du XIXe siècle y prévalent longtemps. Dès 1917, un décorateur, Pierre Legrain, crée un style tout moderne en reliant la bibliothèque de Jacques Doucet. De nouvelles matières, de larges aplats, des compositions abstraites, la place faite à la lettre donnent à ses œuvres une allure très personnelle. Son influence se fait sentir sur bien des artistes, et d'abord sur Rose Adler, pourtant très originale. Par sa forte personnalité, Paul Bonet varie à l'infini ses décors, où la lettre joue souvent aussi un grand rôle. Il crée des reliures tantôt très classiques, comme ses Irradiantes , tantôt surréalistes, et incorpore même des photographies sur les plats. À côté de lui, des artistes de talent comme Creuzevault, Martin, Germaine de Coster, Leroux et bien d'autres ont réalisé une œuvre très personnelle. Un mouvement comparable s'observe avec plus ou moins d'exubérance en Angleterre avec Sybil Pye et George Fisher, en Belgique avec Tchekerul et Micheline de Bellefroid, en Espagne avec Emilio Brugalla, en Italie avec G. Pacchioti, en Allemagne avec Paul Kersten et Otto Dorfen ; dans les pays scandinaves avec le Danois Anker Kystel, comme aux États-Unis avec Otto Zahn et Edith Diehl, l'art de la reliure, longtemps demeuré plus strict et architectural, participe aussi de ce renouveau général. Toutefois, de l'avis général, la France occupe encore dans ce domaine la place qu'elle y occupe depuis des siècles : la première.